Pierre Bonnard, Observations sur la peinture

L’émo­tion et l’intelligence

Privi­lé­giant la force du noir et blanc, Pierre Bon­nard ne fut jamais un néga­teur des cou­leurs. Ces der­nières trouvent leur lumière par l’entremise du blanc. Le peintre dans un texte inédit prouve com­bien sa langue « troue » la pein­ture et l’existence. Sous forme de frag­ments par­fois qua­si­ment apho­ris­tiques le peintre notait au jour le jour les exi­gences de son art et ses méta­mor­phoses. « Vision brute et vision intel­li­gente », comme il l’écrit, se marient. La jouis­sance cer­taine des mots ne cède jamais à la faci­lité du « bon mot ».
Tout répond à la néces­sité d’un art qu’abhorrait pour­tant Pas­cal. Bon­nard rap­pelle sa Pen­sée : « Quelle vanité que la pein­ture » pour lui oppo­ser le « ravis­se­ment » qu’elle induit sous le signe de « l’apathie, de l’énergie, de l’acceptation, de l’incertain et de la réserve ». Preuve qu’un tel art demeure des plus com­plexes et oblige à un devoir autant d’intelligence que de sen­sa­tions et d’émotions.

A cette néces­sité fait écho le bou­le­ver­se­ment dis­cur­sif des pro­pos du peintre. Bon­nard va à l’essentiel en don­nant des « clés » à la sai­sie par­ti­cu­lière d’un art, « sa liai­son par la sauce » et sa liberté de lignes, formes, pro­por­tions et cou­leurs. Sur­git ici l’exigence de vérité d’un artiste dont Beckett se moqua plus pour le plai­sir du bon mot que de la pré­ci­sion d’analyse en par­lant de « blanc Bon­nard et Bon­nard blanc ».

Un tel texte est autant un plai­sir de lec­ture qu’une réflexion des plus per­ti­nentes sur la pein­ture. Il per­met de com­prendre pour­quoi l’œuvre de l’artiste demeure si incan­des­cente autant par sa réa­li­sa­tion que son invi­ta­tion au cou­rage. Elle fait pas­ser d’un monde super­fi­ciel à la vie dont les pro­fon­deurs sur­gissent inten­sé­ment. Et même si sou­vent — par rap­port à la pein­ture — les mots sont sou­vent des témoins « inas­ser­men­tables », ici ils expliquent le mou­ve­ment géné­ral qui emporte l’œuvre, son déchi­re­ment du voile des appa­rences, sa manière d’arpenter la nuit pour en faire sur­gir la lumière par les plus infimes cou­lées. Celles qui plus que toutes autres jouxtent, ponc­tuent et giflent le silence.

jean-paul gavard-perret

Pierre Bon­nard, Obser­va­tions sur la pein­ture, L’Atelier contem­po­rain , Stras­bourg, 2015, 70 p. — 15,00 €.

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