Emanuelle Urien & Manu Causse, Du temps de cerveau disponible

Fils de pub

 L’ori­gine du titre ren­voie à une for­mule  de Patrick Le Lay (alors PDG de TF1) ayant sou­levé un tollé  en 2004 lorsque,  inter­rogé parmi d’autres patrons dans l’ouvrage  Les diri­geants face au chan­ge­ment (Edi­tions du Hui­tième jour), il affir­mait :” Il y a beau­coup de façons de par­ler de la télé­vi­sion. Mais dans une pers­pec­tive ”busi­ness”, soyons réa­liste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son pro­duit (…). Or pour qu’un mes­sage publi­ci­taire soit perçu, il faut que le cer­veau du télé­spec­ta­teur soit dis­po­nible. Nos émis­sions ont pour voca­tion de le rendre dis­po­nible : c’est-à-dire de le diver­tir, de le détendre pour le pré­pa­rer entre deux mes­sages. Ce que nous ven­dons à Coca-Cola, c’est du temps de cer­veau humain dis­po­nible (…). Rien n’est plus dif­fi­cile que d’obtenir cette dis­po­ni­bi­lité. C’est là que se trouve le chan­ge­ment per­ma­nent. Il faut cher­cher en per­ma­nence les pro­grammes qui marchent, suivre les modes, sur­fer sur les ten­dances, dans un contexte où l’information s’accélère, se mul­ti­plie et se bana­lise.

En s’appuyant sur des phrases chocs de ce type, le but de la col­lec­tion est de faire réagir le lec­teur en le confron­tant à une courte mise en abyme de science-fiction sociale où l’auteur (qui écrit à quatre mains ici) pousse jusqu’à son extré­mité  (il fau­drait plu­tôt dire son extré­misme) logique  ce que connote la cita­tion de départ. Nous voici donc pro­pul­sés à vitesse grand V, sans fio­ri­tures de détails des­crip­tifs ou de por­traits psy­cho­lo­giques – cer­tai­ne­ment la limite du texte trop arc-bouté sur le « mes­sage » essen­tiel qu’il entend déli­vrer  -  dans le quo­ti­dien des hommes du  XXIIéme siècle. Le « cer­veau » y repré­sente la réfé­rence abso­lue autour de laquelle tout l’univers gra­vite. Des tech­no­lo­gies sans pré­cé­dent (trans­met­teurs émo­tion­nels, mes­sages infom­mer­ciaux implan­tés dans le cer­veau etc.) per­mettent  désor­mais en per­ma­nence à la publi­cité de frap­per ses cibles, l’humanité étant ployée sous l’emprise des marques dépo­sées et du consu­mé­risme high tech. Dans ce monde glauque et asep­tisé,  divisé en plu­sieurs « clastes » hié­rar­chiques, nous sui­vons l’errance pseudo-contestataire d’un employé modèle, Beur­berry, har­celé par un de ses amis résis­tants au sys­tème, Joe, qui l’invite à connaître le « bon­heur pour tous »…

Clai­re­ment situé à la fron­tière de réfé­rences telles que Matrix, Mino­rity report, Pay­check, In Time ou Total Recall (la V2), Du temps de cer­veau dis­po­nible  est une dys­to­pie qui dénonce les dégâts irré­ver­sibles cau­sés par l’alliance tech­ni­ciste d’Internet, du  capi­ta­lisme sau­vage, de la méde­cine mise au ser­vice des mul­ti­na­tio­nales et atteste du peu de cer­veau qui demeu­re­rait en cha­cun de nous si on lais­sait se déve­lop­per le credo de tristes sires tels que l’ancien direc­teur de TF1. Avec un final à la 1984 où brille­rait un Soleil vert, la boucle est en quelque sorte bou­clée. L’ensemble est sans conteste effi­cace mais la trame nar­ra­tive appa­raît par trop expé­di­tive, ce qui nuit à la cohé­rence de la société ainsi dépeinte, les per­son­nages étant trop peu creu­sés pour qu’ils se donnent comme autre chose qu’un pré­texte cari­ca­tu­ral.
Cela étant, il y a fort parier, ce qui est pour les deux auteurs une façon de rem­plir leur mis­sion édi­to­riale, que, ce court texte refermé, vous ver­rez les canettes de Coca-Cola ™ avec cir­cons­pec­tion.   Peut-être le début de l’insurrection tant atten­due par tous les fans de No logo ?

fre­de­ric grolleau

Ema­nuelle Urien & Manu Causse, Du temps de cer­veau dis­po­nible, Les Edi­tions de l’Atelier In8, Col­lec­tion : “Quelqu’un m’a dit”…, 15 mars 2014, 64 p. — 8,00 €.

 

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