Chuck Palahniuk, Berceuse

Un road story à la Palah­niuk, la quête d’un graal impie par une famille factice

Il aura fallu attendre mars 2004 pour que paraisse en France le 4ème roman de Chuck Palah­niuk, l’auteur de Fight Club. Il s’agit pour­tant d’un des écri­vains les plus ban­kables de la lit­té­ra­ture amé­ri­caine, qui construit, à coup de best-sellers radi­ca­le­ment déjan­tés, une œuvre culte venue de l’underground.

Votre patience, lec­teurs fran­co­phones, n’aura pas été vaine : Ber­ceuse va effec­ti­ve­ment vous emme­ner loin, vous écla­ter la tête et ça va être bon ! Vous y croi­se­rez aussi une Vierge à dread­locks et au pubis rasé qui graf­fite le ciel de mes­sages lapi­daires par­se­més de fautes d’orthographe…
Voici Big Bro­ther, qui chante et qui danse, et qui vous nour­rit de force de sorte que jamais votre esprit ne crie suf­fi­sam­ment famine pour penser.

Carl Strea­tor, le nar­ra­teur, est jour­na­liste, abonné aux articles de fond. Chargé d’une enquête sur le phé­no­mène de la mort subite du nour­ris­son, il a lui-même perdu sa femme et sa petite fille dans des cir­cons­tances incom­pré­hen­sibles. Il grif­fonne chaque détail sur un cale­pin auprès de ber­ceaux vides, dans les salles de bain de parents endeuillés, et découvre le détail com­mun à toutes ces scènes de déses­poir : un livre de comp­tines et rimes du monde entier, ouvert à la page 27.

C’est une ber­ceuse d’Afrique, indo­lore et fatale. Une chan­son d’élimination, mor­telle envers ceux à qui on la raconte pour abré­ger leur souf­france. Elle se loge dans la mémoire de Strea­tor. Chargé de furie, de cha­grin, de l’indicible hor­reur d’avoir tout perdu de sa vie, Strea­tor est un baril de poudre ambu­lant qui a de plus en plus de peine à maî­tri­ser ses pul­sions.
Et voici Big Bro­ther qui chante et qui danse pour que je ne me mette pas à trop pen­ser pour mon propre bien.

Il ren­contre alors Helen Hoo­ver Boyle, agent immo­bi­lier spé­cia­li­sée dans la vente de mai­sons han­tées. Tirée à quatre épingles, ruti­lantes d’ors et de joaille­ries aux cou­leurs méta­pho­riques, Helen est une char­mante cynique avec ses propres gouffres à fleur de peau. Elle lui confirme l’impact de la ber­ceuse et l’existence d’un Livre des Ombres ren­fer­mant tous les sorts. Tous les dan­gers et tous les espoirs…

La jeune secré­taire d’Helen, Mona Sab­bat, est une fer­vente new-age, pra­ti­quante du Wicca avec son copain Oys­ter, un rasta écolo-radical insup­por­table. “Juste au-dessus de l’encolure orange de sa robe, au-dessus de sa cla­vi­cule droite, elle porte tatouées trois minus­cules étoiles noires.”

Ensemble, avec des buts dif­fé­rents, ils vont s’embarquer dans une traque aux exem­plaires de la comp­tine à tra­vers les Etats Unis. Mais peut-on muse­ler une infec­tion psy­chique lorsqu’elle a com­mencé à se répandre à l’ère de l’information ?

Deux géné­ra­tions dans une voi­ture, un road story à la Chuck Palah­niuk, la quête d’un graal impie par une famille fac­tice : 300 pages de ten­sion, de péri­pé­ties, de remarques cin­glantes et de miracles.
“Chaque géné­ra­tion veut être la der­nière.” Oyster

Avec son humour sar­do­nique, ses images chocs, son intrigue explo­sive et sa morale désta­bi­li­sante, Ber­ceuse va conta­mi­ner la mémoire des lec­teurs. Bien que très lisible, c’est un texte qui se mérite car cer­tains pas­sages sur les bébés morts ou sur les abat­toirs sont dif­fi­ciles à sup­por­ter. Mais la vie est cruelle, et “tuer les gens qu’on aime n’est pas la pire chose qu’on puisse leur faire”.

Sur une thé­ma­tique de pou­voir, voici une Ber­ceuse sous-tendue de colère et d’émotion, écrite par la main de gauche de Palah­niuk sur un par­che­min de peau humaine. Pas­sion­nante pour les fans de Fight Club tout comme pour ceux qui y décou­vri­ront un nou­vel auteur.

 
stig legrand

   
 

Chuck Palah­niuk, Ber­ceuse (tra­duit de l’américain par Freddy Michalski), Gal­li­mard “La Noire”, mars 2004, 336 p. — 22,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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