Le lecteur ne doit pas être repoussé par le thème et le titre de ce livre qui n’est ni austère ni ennuyeux. L’auteur, grand spécialiste du Moyen-Orient, utilise un langage très clair pour faire comprendre aux profanes les réalités complexes du chiisme, même si on doit parfois se plonger dans l’utile lexique pour retrouver le sens de tel ou tel terme propre à l’islam chiite. Contrairement à une idée très répandue, il existe un clergé dans l’islam, mais uniquement au sein de la branche du chiisme, considérée comme hérétique par la majorité sunnite. Or, ce clergé s’est très vite impliqué dans le domaine politique au nom, entre autres, de « la défense de l’islam à travers la lutte contre l’influence et la mainmise des puissances occidentales sur les territoires musulmans, [du] refus de la tyrannie et du despotisme du souverain, même musulman. »
De ce fait, ses membres jouent un rôle central dans la lutte contre l’hégémonie britannique qui pille les richesses de l’Iran, comme le montre la révolte du tabac (1890–1892), « aboutissement de l’exaspération populaire face à l’influence grandissante de la Grande-Bretagne [et] aussi motivée par un refus de l’absolutisme du chah. » On apprend donc que la confrontation de 1979 entre le clergé et Mohammad Reza Pahlavi trouve ses racines dans un passé très ancien de l’Iran.
L’interventionnisme clérical débouche, avec Khomeiny, sur une volonté tout à fait claire d’exercer « le pouvoir politique pour lui-même. » Cette évolution s’appuie sur ce que l’auteur appelle « une véritable théorie cléricale du pouvoir et de l’Etat ». Le principal apport du livre réside dans cette mise en perspective de la révolution de 1979 et dans cet éclairage sur les liens entre clergés chiites d’Iran, d’Irak et du Liban, qui occupent de nombreuses pages de ce livre très intéressant.
frederic le moal
Jean-Pierre Luizard, Histoire politique du clergé chiite, XVIIIe–XXIe siècle, Fayard, mars 2014, 324 p. - 20,00 €