L’émergence d’un nouveau monde
Avec ce récit, Adam Roberts met en œuvre plusieurs thématiques très actuelles. Il aborde une pandémie qui touche une large partie de la population. Mais cette nouvelle situation, ces personnes qui se retrouvent obligées, par une force obscure, de construire des structures qui semblent aberrantes, n’illustre-t-elle pas, tout simplement, l’activité humaine depuis des millénaires ? L’homme n’utilise-t-il pas des matériaux naturels pour fabriquer, édifier quelque chose de nouveau qui n’existait pas ? Avec le sable, c’est le béton, avec les minerais ce sont des métaux, avec les arbres, ce sont des habitations…
Et le scénariste installe un récit qui s’inscrit en anticipation, en science-fiction, en réflexions sur l’activité humaine. N’est-ce pas une pandémie ce labeur qui réunit des populations pour changer l’environnement ?
Lorsque la Compulsion s’est abattue sur le monde elle a frappé nombre de citoyens. Les victimes que l’on appelle les Obligés ressentent le besoin de prendre des objets, sans cause spécifique, pour les déplacer. Puis, sur un lieu imposé, ils sont capables de connecter ensemble ces objets très hétéroclites pour former de nouvelles structures gigantesques.
Vida, qui a travaillé dans l’humanitaire, s’est mise à s’occuper d’Obligés. C’est ainsi qu’elle rencontre Lee, sur une plage des USA où se constitue une nouvelle structure. C’est au poste de police qu’il lui avoue ressentir une connexion avec elle, un ressenti partagé par la jeune femme.
À Uzès sous une chaleur écrasante, Serge, un gendarme, recherche du matériel volé chez Monsieur Bricolage. Après s’être servi de son Taser contre un homme très agressif, il est attaqué par son épouse, Alina, qui lui vole son arme. Elle le menace avec car elle doit transporter ce Taser vers le nord et elle a besoin de la voiture de la gendarmerie.
Roy, qui se trouve dans le golfe de Gascogne, plonge avec un sous-marin d‘exploration pour récupérer un objet dans l’épave d’un cuirassé. En possession de sa prise, il abandonne l’équipage de surface, qui lutte contre une forte tempête, pour aller vers le nord.
Peu à peu, apparaissent, dans des endroits improbables, des structures gigantesques apparemment inutiles. Mais, à mesure que les Obligés désossent l’ancien monde, des clivages s’amplifient jusqu’à…
Cette histoire, qui met en mouvement un petit groupe de personnages que l’on suit avec intérêt, est illustrée de façon magnifique par François Schuiten. Tout amateur de bande dessinée, même novice, connaît Les Cités obscures, cette série qu’il crée depuis quarante ans avec son complice Benoît Peeters.
Ici, il n’illustre pas un récit plus ou moins en phase avec ses préoccupations, avec son univers, mais il trace des visions qui, à leur tour, influencent l’histoire. C’est avec des doubles pages en couleurs où son art graphique donne sa pleine mesure, des objets plus communs mis en images à l’aide de hachures, en noir et blanc, qu’il magnifie une vision architecturale nouvelle.
Avec Compulsion, ces deux créateurs d’univers, livrent un album remarquable à tous point de vue, pour un récit qui sollicite l’attention, pour ses fabuleuses illustrations.
serge perraud
Adam Roberts (scénario)F & rançois Schuiten (dessin et couleur), Compulsion, Dargaud, novembre 2024, 128 p. — 35,00 €.