Photographie, art et beauté : entretien avec Céline Claret

Sensible à la beauté du corps, sa manière de le pro­po­ser en « coupes » et por­traits, Céline Cla­ret prouve que la pho­to­gra­phie n’est jamais une connais­sance lorsque ses pra­ti­quants séparent le corps et l’esprit, voire les font souf­frir à la manière de pré­da­teurs ou mani­pu­la­teurs.
La colonne ver­té­brale de sa créa­tion per­met de remo­de­ler la per­son­na­lité fémi­nine. Au nom des femmes sou­mises sous influences autant « mâlignes » que mas­cu­lines, elle crée sous son mode rhé­to­rique de l’image un moyen de sou­li­gner celles qui souffrent d’un manque d’âme et ce, afin de mon­trer un souci de leurs dif­fé­rences sans aucune dépen­dance extérieure.

Une telle orien­ta­tion esthé­tique est béné­fique même si, dans ce cas, un cer­tain machisme pré­tend que la femme est une âme étran­gère est dan­ge­reuse. Mais contre l’asservissement, la créa­trice retient par un radi­ca­lisme dis­cret, astu­cieux, humo­riste par­fois en de telles pers­pec­tives et ouver­tures sans imi­ta­tion ni for­mule. Le tout pour repar­tir à zéro, dans une nou­velle direc­tion en tant que sœur du rêve, de l’exploration et de la réalité.

Restent des pré­sences propres à sug­gé­rer, moins des effets nos­tal­giques, que des varia­tions sur la perte et l’absence mais aussi sur le fol espoir, l’ultime aspi­ra­tion via divers sup­ports. Rien n’y gâche le chaos, tout ren­force une seule injonc­tion : “Il faut conti­nuer, je dois conti­nuer, je ne peux pas conti­nuer, il faut conti­nuer” (L’Innommable, Beckett). D’où cette éter­nelle vadrouille où l’acte de créa­tion est un acte de résis­tance, une marche for­cée et un incoer­cible trans­port « amoureux».

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon chat

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
En tant qu’enfant, j’avais de nom­breux rêves, et je m’efforce aujourd’hui de les concré­ti­ser à tra­vers mon par­cours artis­tique. Le rêve qui m’a tou­jours habité est celui de deve­nir une grande artiste recon­nue. Ayant grandi dans un envi­ron­ne­ment où il n’était pas évident de s’exprimer, l’art est devenu pour moi un moyen essen­tiel de libé­rer ma voix. Il est non seule­ment une forme d’expression mais aussi de gué­ri­son et de résis­tance. J’ai natu­rel­le­ment évo­lué vers la pho­to­gra­phie, nour­rie par une quête de sens et de com­pré­hen­sion. J’éprouve un besoin pro­fond de com­prendre mon propre par­cours et les inter­ac­tions humaines.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé aux attentes que ma famille avait pour moi, afin de me décou­vrir e m’exprimer à tra­vers l’art. J’ai renoncé à une cer­taine tran­quillité émo­tion­nelle. L’art m’oblige à explo­rer des zones incon­for­tables de moi-même et, par­fois, cela peut-être épui­sant. Mais c’est un pro­ces­sus libé­ra­teur. J’ai long­temps renoncé à la sécu­rité finan­cière en accep­tant une cer­taine pré­ca­rité pour vivre de mon art éga­le­ment. Cepen­dant, j’ai cumulé plu­sieurs sta­tuts de pré­ca­rité. Artiste, mère céli­ba­taire, femme. Comme de nom­breux artistes j’ai béné­fi­cié du RSA. Cha­cun de ces sta­tuts porte son lot de dif­fi­cul­tés et j’ai res­senti au bout d’un moment le besoin de chan­ger d’équilibre en m’occupant aussi de ma sécu­rité finan­cière. Je tra­vaille donc dans une entre­prise en tant que déve­lop­peuse web. Je conti­nue d’exercer mon métier d’artiste en paral­lèle, ce qui me per­met, même si cela me prend plus de temps pour créer, d’aborder mon art avec une séré­nité nou­velle. Je peux désor­mais explo­rer mon tra­vail artis­tique avec une plus grande liberté. Ces expé­riences m’ont pro­fon­dé­ment mar­quée mais elles m’ont aussi appris à navi­guer dans des contextes de grandes adver­si­tés. Elles ont nourri mon tra­vail artistique.

D’où venez-vous ?
De la pla­nète Taire, un monde où le silence et les non-dits règnent. Heu­reu­se­ment je l’ai détourné pour plon­ger dans un uni­vers inté­rieur où règnent la créa­ti­vité et une grande volonté de chan­ger cela par l’expression de l’intime. Autre­ment, j’ai passé une par­tie de mon enfance en Occi­ta­nie dans de très nom­breux démé­na­ge­ments ini­tiés par mes parents, en pas­sant d’un vil­lage à l’autre, essen­tiel­le­ment dans l’Aude. Ce qui n’a pas été simple pour ma sco­la­rité et pour main­te­nir des ami­tiés. Était-ce en par­tie dû aux ori­gines manouches de mon père? Pro­ba­ble­ment. Mais il y avait aussi des pro­blèmes finan­ciers et fami­liaux. J’ai donc grandi entre vignes et mer dans un pre­mier temps. Puis, nous avons emmé­nagé en Seine– Saint-Denis où j’ai connu la ville et les HLM, avant de vivre dans une mai­son que mon père disait être celle de Vio­lette Nozière adulte, où elle a vécu avec son mari après ses années de déten­tion. Cela reste une hypo­thèse non confir­mée car il s’agit de témoi­gnages locaux. Nous ne vivons plus dans cette mai­son mais je vis tou­jours en Seine-Saint-Denis.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
L’amour pour la pho­to­gra­phie du côté de mon père et le rêve du côté de ma mère. Avec ce qui est devenu deux outils d’expression pour moi, je tente de créer l’espace et la pen­sée néces­saires, pour abor­der les vio­lences sexuelles, inces­tueuses, psy­cho­lo­giques, phy­siques, conju­gales, et celles faites aux enfants afin de les subli­mer à tra­vers l’art. Cepen­dant, je n’ai jamais vu mon père pho­to­gra­phier ni ma mère accueillir mes rêves. Je veux dire par là que cet héri­tage est impli­cite. Il n’a pas été éla­boré d’un point d’un point de vue psy­cho­lo­gique dans nos rela­tions. Je voyais plus sou­vent ma grand-mère mater­nelle faire des pho­tos de pay­sages et de famille. Mon père a une bles­sure impor­tante concer­nant son appren­tis­sage de la pho­to­gra­phie, il n’a donc pas eu le désir de trans­mettre cet amour, si ce n’est de manière pro­ba­ble­ment incons­ciente. Il a été un jeune apprenti-photographe pen­dant 3 années, durant les­quelles il a tra­vaillé en stu­dio et dans une bou­tique de déve­lop­pe­ment et maté­riel photo à Paris, où il a ren­con­tré ma mère. Il a été ponc­tuel­le­ment assis­tant du pho­to­graphe bri­tan­nique David Bai­ley, lorsque celui-ci tra­vaillait à Paris pour Vogue.
Cepen­dant, après que mon père ait pho­to­gra­phié Char­lie Cha­plin pour la pro­mo­tion d’un de ses films, lors d’u de ses pas­sages à Paris, il a mon­tré fiè­re­ment ses néga­tifs à un pho­to­graphe tra­vaillant dans le même stu­dio que lui. En voyant un des néga­tifs de mon père qui l’intéressait par­ti­cu­liè­re­ment, il lui a pro­posé de l’acheter ou le mon­trer à un maga­zine de l’époque pour publi­ca­tion. Mon père a accepté en lui lais­sant son néga­tif. Seule­ment, ce pho­to­graphe a fait publier la pho­to­gra­phie à son propre nom, en double page d’un maga­zine de l’époque. Mon père a été extrê­me­ment blessé par cet acte et d’autres qui ont suivi dans le milieu; il a fina­le­ment aban­donné son rêve de deve­nir photographe

J’ai donc effec­tué mon propre par­cours de pho­to­graphe avec une sen­sa­tion de ne pas y être auto­ri­sée. Il y a quelques années, j’ai trouvé dans la rue près de chez moi, un mor­ceau de pel­li­cule 35mm d’un des films de Char­lie Cha­plin. J’avais le sen­ti­ment alors que la vie m’autorisait à faire de la pho­to­gra­phie, mal­gré la bles­sure de mon père. Je l’ai vu comme un sym­bole et je l’ai enca­dré au-dessus de mon lit. Concer­nant le rêve du côté de ma mère, je me suis ren­due compte très tard qu’elle m’avait trans­mis quelque chose de cet ordre là. Je me suis tou­jours vue comme étant une enfant rêveuse. Lorsque j’étais petite, alors que j’avais fait part à ma mère d’un fait grave pour moi, un de mes trau­ma­tismes même, elle m’a répondu : « Mais non ma fille, tu as dû rêver ». Cela a eu un effet ter­rible sur moi, même si je com­prends qu’à ce moment-là, elle ne pou­vait pas y faire face. Plus tard, elle m’a offert un livre d’interprétation des rêves que j’ai long­temps laissé de côté, avant de m’y inté­res­ser. Par la suite, en vou­lant com­prendre mes rêves et cau­che­mars récur­rents, je me suis mise à en faire des récits tous les jours pen­dant des années, par­tant à la recherche de mon inté­rio­rité et de ce fait grave que j’ai vécu et dont j’ai refoulé par­tiel­le­ment le sou­ve­nir. C’est à ce moment-là que j’ai ouvert ce livre, cher­chant des réponses. J’ai conti­nué mes recherches sur le rêve en l’étudiant à tra­vers le cinéma, la phi­lo­so­phie, la psy­cho­lo­gie, les sciences et les arts. C’est devenu à la fois une pas­sion qui fait que je m’intéresse à toutes les formes de rêves : le rêve éveillé, le rêve noc­turne, les hal­lu­ci­na­tions, la dis­so­cia­tion men­tale comme la déper­son­na­li­sa­tion, la déréa­li­sa­tion, l’amnésie dis­so­cia­tive, l’amnésie trau­ma­tique et d’autres encore ; et éga­le­ment une clé d’accès à mon incons­cient ainsi qu’une ins­pi­ra­tion artis­tique.
J’ai la sen­sa­tion d’avoir récu­péré quelque chose de pré­cieux avec les dif­fé­rentes inter­pré­ta­tions des rêves, un peu comme dans les cultures amé­rin­diennes où les rêves sont sacrés. À mes yeux, les rêves sont impor­tants pour leur poten­tiel à gui­der les choix de vie, la gué­ri­son, ou les prises de déci­sion impor­tantes. Ils sont éga­le­ment un outil pré­cieux pour par­ve­nir à se connec­ter à son incons­cient, son enfance, à la mémoire et à la créa­tion artistique.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Regar­der des films et des séries asia­tiques. Je trouve du récon­fort dans les K-drama parce que la rela­tion est au cœur de l’histoire. Il y a une pro­fon­deur que je ne retrouve pas ailleurs, même si je suis consciente des aspects patriar­caux sou­vent pré­sents dans la société coréenne.

Com­ment définissez-vous votre art du por­trait ?
Dans mon tra­vail, il s’agit avant tout de son­der les pro­fon­deurs de l’âme humaine, de dévoi­ler des aspects cachés, sou­vent liés à des trau­ma­tismes, des émo­tions refou­lées ou des conflits inté­rieurs. Chaque por­trait est une ten­ta­tive de récon­ci­lier l’intime et le sym­bo­lique, d’utiliser la pho­to­gra­phie comme un miroir de l’esprit, où se ren­contrent le tan­gible et l’abstrait. Je pour­rais par­ler d’autofiction visuelle. Il y a à la fois une dimen­sion psy­cho­lo­gique, une réflexion sur toutes les formes de vio­lences phy­siques, psy­cho­lo­giques ou sexuelles — et sur les effets qu’elles laissent sur l’âme et le corps. Mon tra­vail explore ces traces invi­sibles lais­sées par la vio­lence, à tra­vers des liens rom­pus ou défor­més. Cet aspect s’entremêle avec une approche oni­rique et mon propre regard per­son­nel à par­tir de mon his­toire, créant un espace de réin­ter­pré­ta­tion artis­tique.
Je me sens comme une pho­to­graphe de la vio­lence et du rêve. Ce mélange de réel et d’imaginaire me per­met de racon­ter des frag­ments d’identité, où la mémoire et le corps se rejoignent dans une forme d’abstraction émo­tion­nelle. Dans chaque por­trait, il y a une ten­sion entre la repré­sen­ta­tion de la réa­lité et celle de l’invisible, un équi­libre entre ce qui est dit et ce qui est sug­géré. Mon approche pho­to­gra­phique fait appel à une vision concep­tuelle, où la mise en scène, les choix esthé­tiques et l’abstraction viennent créer un dia­logue visuel entre ce qui est mon­tré et ce qui reste caché.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
“Vision” d’Odilon Redon. J’ai été vrai­ment inter­pel­lée par cet oeil qui semble être désa­busé et observe le spec­ta­teur ou la spec­ta­trice. J’ai l’impression d’y voir un contact visuel, une connexion émo­tion­nelle, un échange de regards qui crée l’introspection.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Enfant j’ai été très émue par « La petite fille aux allu­mettes » d’Andersen. Ce conte magique sur une petite fille mal­trai­tée qui meurt de froid m’a beau­coup mar­quée car j’y voyais la dure réa­lité que vivaient de nom­breux enfants sans que les adultes ne fassent quoi que ce soit pour chan­ger cela. À l’adolescence, « Le Horla » de Mau­pas­sant m’a lais­sée une impres­sion durable en éveillant en moi des ques­tions sur la psy­cho­lo­gie et la folie. La lutte inté­rieure du per­son­nage sou­ligne la fra­gi­lité de la per­cep­tion humaine et com­ment la réa­lité peut être défor­mée, par exemple, par l’angoisse. Ce phé­no­mène est par­ti­cu­liè­re­ment récur­rent dans les contextes de vio­lences et mani­pu­la­tion, illus­trant com­ment la per­cep­tion de la réa­lité peut être façon­née par des expé­riences trau­ma­ti­santes ou des com­por­te­ments mani­pu­la­toires. Puis, en tant qu’adulte, je pense sou­vent à « Le rêve » de Berg­son, un ouvrage qui nour­rit ma réflexion sur la fron­tière entre réel et ima­gi­naire. Cha­cun de ces livres a influencé ma manière de per­ce­voir la vie et conti­nue de réson­ner dans mon travail.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime beau­coup la musique des années 70. Par exemple, j’aime énor­mé­ment le groupe de jazz fusion « Return to fore­ver ». J’aime aussi « The Love Unli­mi­ted Orches­tra », ou Ruth Cope­land. J’ai une pré­fé­rence pour la musique sans paroles, même si mes goûts sont éclectiques.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Réin­ven­ter l’amour » de Mona Chollet.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Pre­cious » de Lee Daniels sorti en 2009.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quand je me regarde dans un miroir, je vois une ver­sion de moi qui varie selon les jours. Par­fois, c’est l’adolescente en moi, d’autres fois celle qui vieillit, ou la mère impar­faite que je suis. Par­fois, je me plais telle que je suis, par­fois moins, mais tou­jours, je vois le reflet de toutes les par­ties de moi en lutte ou en har­mo­nie. Ce miroir reflète mon âme faite de curio­sité, d’empathie, d’idéalisme et de révolte face aux injus­tices. J’aspire à res­ter fidèle à mes valeurs, à être ali­gnée avec ce que je crois juste. Je m’efforce de res­pec­ter la vie sous toutes ses formes, jusqu’à la plus petite des créa­tures, du mieux que je peux.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
C’est une ques­tion à laquelle il m’est dif­fi­cile de répondre. Je ne connais pas vrai­ment de per­sonne à qui je n’aurais jamais osé écrire car je crois que lorsque j’ai res­senti le besoin de m’adresser à quelqu’un, même si cela a pu être dif­fi­cile, j’ai pré­féré affron­ter ce genre de moments plu­tôt que de vivre avec des regrets. Cepen­dant, dans ma vie per­son­nelle, il m’est arrivé de ne pas oser écrire à cer­taines per­sonnes proches, mais c’est aussi parce qu’il n’était pas pos­sible non plus de leur par­ler. Du moins qu’ils accueillent mes opi­nions ou mon ressenti.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Lwow, ou Lviv, est pour moi un lieu mythique chargé d’histoire et de mémoire, incar­nant les racines de ma famille. Ce ber­ceau ances­tral, d’où mes arrière-grands parents, culti­va­teurs de lin, ont fui en rai­son des tumultes pro­vo­qués par les casques rouges, ces sol­dats de l’armée sovié­tique qui, lors de l’occupation, ont bou­le­versé la vie de nom­breuses familles à tra­vers l’Europe de l’Est. Il sym­bo­lise à la fois la dou­leur de l’exil et le sou­ve­nir de mes ancêtres qui, bien que dis­pa­rus, laissent une empreinte indé­lé­bile sur mon iden­tité et mes aspi­ra­tions. Lwow évoque les luttes uni­ver­selles pour la liberté et la dignité humaine, me reliant à des his­toires simi­laires à tra­vers le monde, où des géné­ra­tions ont dû se battre pour leurs droits et leur iden­tité. Cette lutte est d’ailleurs d’une actua­lité brû­lante, alors que le peuple ukrai­nien conti­nue de résis­ter face à l’agression russe, illus­trant encore une fois la quête inces­sante de liberté qui tra­verse les âges.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez la plus proche ?
Jea­nette Win­ter­son occupe une place par­ti­cu­lière dans mon par­cours, car son livre « Pour­quoi être heu­reux quand on peut être nor­mal » m’a aidée à m’autoriser à par­ler des vio­lences intra­fa­mi­liales. Elle se raconte avec une telle hon­nê­teté, sur sa famille, ses rap­ports dif­fi­ciles et toxiques avec sa mère, et sur­tout sur la loi du silence, que cela pro­fon­dé­ment résonné en moi. Son œuvre m’a aidée à mettre des mots sur mes propres expé­riences et à com­prendre qu’il est pos­sible de bri­ser ce silence. Louise Bour­geois me touche pour des rai­sons simi­laires. Son œuvre explore la sexua­lité, la domi­na­tion, et les rap­ports de pou­voir, notam­ment avec son père. Ces thèmes résonnent en moi et je les trouve puis­sam­ment expri­més dans ses sculp­tures.
Geor­gia O’Keeffe et Kupka m’ont ins­pi­rée à recher­cher un équi­libre entre abs­trac­tion et figu­ra­tion dans ma pho­to­gra­phie. Leur approche m’a donné envie d’ajouter une dimen­sion abs­traite à mes por­traits figu­ra­tifs, même si cet équi­libre reste une explo­ra­tion en cours. Leur tra­vail conti­nue de nour­rir ma démarche artis­tique et m’encourage à per­sé­vé­rer dans cette quête. Helena Almeida enri­chit ma réflexion sur l’autofiction visuelle et l’exploration du corps et de la psy­ché. Dans ses œuvres, elle se met en scène dans des com­po­si­tions où elle explore l’espace entre le corps, l’esprit et l’abstraction, uti­li­sant sa propre image comme un outil de ques­tion­ne­ment. Elle explore la rela­tion entre soi et le monde, la pré­sence et l’absence, ainsi que la fron­tière entre l’art et la réa­lité. Elle m’amène à réflé­chir au rôle du corps et de l’intime dans mon tra­vail, où comme elle, je cherche trans­cen­der le simple por­trait pour créer un espace de dia­logue entre réa­lité et ima­gi­naire. Le lien à soi et à l’autre, sou­vent rompu ou déformé par la vio­lence, est cen­tral dans mon travail.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
De l’amitié authen­tique et pro­fonde, car rien n’a plus de valeur que des rela­tions sin­cères qui nour­rissent l’âme.

Que défendez-vous ?
Je défends les voix de ceux qu’on ne veut pas entendre ou qu’on a oublié d’écouter, les luttes de ceux et celles qui, par leur dif­fé­rence ou leur souf­france, ont été écar­tés ou incom­pris. Mon tra­vail cherche à éveiller la mémoire col­lec­tive face aux injus­tices et aux dou­leurs tra­ver­sant les époques. Je pro­tège éga­le­ment cette part d’enfance en cha­cun de nous, cette sen­si­bi­lité que je ché­ris en moi et en mon fils, en défen­dant l’enfance contre les injus­tices et les vio­lences, qu’elles soient visibles ou invi­sibles. Enfin, je vois la nature comme essen­tielle à notre huma­nité et à notre équi­libre. Chaque insecte, chaque arbre porte une essence que nous devons pré­ser­ver pour res­ter connec­tés à la vie et à nous-mêmes.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ce que cette phrase évoque pour moi, c’est l’incapacité à voir l’autre tel qu’il est réel­le­ment. Don­ner quelque chose qu’on n’a pas, c’est déjà pro­je­ter sur l’autre un manque ou un désir qui nous appar­tient. Et si cet autre n’en veut pas, cela révèle l’asymétrie des attentes et des besoins dans une rela­tion amou­reuse. L’amour, dans ce cas, devient une illu­sion, où l’on cherche à com­bler un vide en nous, en uti­li­sant l’autre comme simple reflet de ce manque, plu­tôt que de le voir dans toute sa sin­gu­la­rité C’est une forme d’amour qui se nour­rit de la frus­tra­tion, car il repose sur une pro­jec­tion de soi plu­tôt que sur une véri­table ren­contre avec l’autre.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Pour moi, cette phrase illustre la ten­dance à vou­loir faire plai­sir à l’autre, sou­vent au détri­ment de soi. C’est comme dire ‘oui’ par réflexe, avant même de com­prendre ce qu’on nous demande. Cela me fait pen­ser à ce que l’on inculque sou­vent aux petites filles : être accom­mo­dantes, ne pas déran­ger, et dire « oui » sans avoir vrai­ment le droit de dire « non ». Cette atti­tude révèle une forme d’effacement de soi, où le besoin de satis­faire les autres prime sur son propre res­senti ou ses propres limites.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Est-ce qu’un rêve sans étoiles est un rêve oublié ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 21 novembre 2024.

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