Gilbert Bourson, Plancher du ciel

Quand tout s’ébroue

Cette (judi­cieuse) col­lec­tion met en lumière ce qui forme l’univers péri­phé­rique d’un auteur et sa fabrique de textes. Bour­son y règne ici en maître. Le plai­sir de son écri­ture est un ravis­se­ment et ce, en uti­li­sant « acces­soi­re­ment » son pru­rit (léger) de l’égo, sa tra­jec­toire exis­ten­tielle, ses rêves et ses « expli­ca­tion de textes » d’écrivains incon­tour­nables.
Mais il est d’abord un regar­deur ailé dont sa prose se fait lutine. Si bien qu’un simple lac est « majoré par un genou qui passe au bord de son our­let troussé plus haut plus bas que le blanc bel­vé­dère des cailloux des plages où chassent les san­dales nues des oura­gans qui déplacent le moi au rythme de la prose ». Dès lors, tout est pos­sible. Jouant l’apprenti, il se perche sur ces lignes de pay­sages en s’efforçant de mimer “la vitesse en len­teur de pensées” .

Fran­chis­sant une porte cochère, sa ligne de conduite n’a par­fois que très peu conscience de ses ascen­sions. Tou­te­fois, les choses vues trans­forment « les choses pétries » car le regard de poète tient lieu de lavoir. Tout de l’obscur devient clair et sans aucune ambi­guïté pour celui qui — abeille et abbé laïque — est récep­tif « aux pol­lens du réel » qu’il oppose à la Réa­lité:  « cette fille aux jambes grêles ».

D’où ses révé­la­tions là où les mots ne sont jamais bra­dés. S’y crée l’aspiration à un para­dis, là où l’auteur se per­met « sou­vent les pires sauts de carpe ou de diem » et se fait un peintre avec des mots. Mais il se nour­rit aussi de ses lec­tures, manière de débor­der leurs propres secrets en ouvrant leurs ser­rures. Il en attend bien des miracles com­pa­rables à celui d’un cor­sage « où trem­blote un bal­con d’un par­fum ter­mi­nus qui change le cer­veau en une soie sau­vage drue comme un insight ». Dès lors, Bre­ton, Valéry, Jarry, Vachey, Butor, Michaux noient jamais le pois­son : grâce à eux, il devient soluble

Chez de tels auteurs, des idées ruis­sellent pour enri­chir sa créa­tion. Et le voici “Ben Hur sur son char”. Mais les musi­ciens (Ravel et Dusa­pin par exemple) lui accordent bien des satis­fe­cits en bonus. Preuve que tous ces morts ne se rai­dissent jamais car, par eux, la joie de l’écrivain demeure. Si bien qu’elle atteint le plan­cher du ciel de celui  qui  parle aux nuages et les caresse en amant reli­gieux. Son exis­tence est un obser­va­toire :  il ne rate rien. Pas même un repor­tage sur les orchi­dées à la télé plu­tôt que de laver des feuilles de lai­tue : sa pen­sée curieuse lorgne sur les bre­telles qui ornent des lieux cachés de l’ensemble du monde à débusquer.

Pour Bour­son, au jour le jour, entre villes et nature, le fami­lier est mys­tère dont l’éther effleure la beauté. D’où la capil­la­rité d’une telle écri­ture. Elle s’épanche entre divers désirs. Dans le genre, c’est par­fait car ce pro­sa­teur poète sent et voit « glo­bu­leu­se­ment ». Plon­ger à la sur­face de ciel, c’est aller y boire en por­tant un toast à un tel créa­teur. Il fait par­tie de ceux qui creusent la boue pour en trou­ver de l’or. Son écri­ture devient un « médic-amant » et aussi des bou­quets de fleurs qui agrippent son ciel. Ici, il devient le nôtre.

jean-paul gavard-perret

Gil­bert Bour­son, Plan­cher du ciel, Edi­tions Douro, collec­tion « La Dia­go­nale de l’écrivain », Chau­mont, 2024, 120 p. — 16,00 €.

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