Cette (judicieuse) collection met en lumière ce qui forme l’univers périphérique d’un auteur et sa fabrique de textes. Bourson y règne ici en maître. Le plaisir de son écriture est un ravissement et ce, en utilisant « accessoirement » son prurit (léger) de l’égo, sa trajectoire existentielle, ses rêves et ses « explication de textes » d’écrivains incontournables.
Mais il est d’abord un regardeur ailé dont sa prose se fait lutine. Si bien qu’un simple lac est « majoré par un genou qui passe au bord de son ourlet troussé plus haut plus bas que le blanc belvédère des cailloux des plages où chassent les sandales nues des ouragans qui déplacent le moi au rythme de la prose ». Dès lors, tout est possible. Jouant l’apprenti, il se perche sur ces lignes de paysages en s’efforçant de mimer “la vitesse en lenteur de pensées” .
Franchissant une porte cochère, sa ligne de conduite n’a parfois que très peu conscience de ses ascensions. Toutefois, les choses vues transforment « les choses pétries » car le regard de poète tient lieu de lavoir. Tout de l’obscur devient clair et sans aucune ambiguïté pour celui qui — abeille et abbé laïque — est réceptif « aux pollens du réel » qu’il oppose à la Réalité: « cette fille aux jambes grêles ».
D’où ses révélations là où les mots ne sont jamais bradés. S’y crée l’aspiration à un paradis, là où l’auteur se permet « souvent les pires sauts de carpe ou de diem » et se fait un peintre avec des mots. Mais il se nourrit aussi de ses lectures, manière de déborder leurs propres secrets en ouvrant leurs serrures. Il en attend bien des miracles comparables à celui d’un corsage « où tremblote un balcon d’un parfum terminus qui change le cerveau en une soie sauvage drue comme un insight ». Dès lors, Breton, Valéry, Jarry, Vachey, Butor, Michaux noient jamais le poisson : grâce à eux, il devient soluble
Chez de tels auteurs, des idées ruissellent pour enrichir sa création. Et le voici “Ben Hur sur son char”. Mais les musiciens (Ravel et Dusapin par exemple) lui accordent bien des satisfecits en bonus. Preuve que tous ces morts ne se raidissent jamais car, par eux, la joie de l’écrivain demeure. Si bien qu’elle atteint le plancher du ciel de celui qui parle aux nuages et les caresse en amant religieux. Son existence est un observatoire : il ne rate rien. Pas même un reportage sur les orchidées à la télé plutôt que de laver des feuilles de laitue : sa pensée curieuse lorgne sur les bretelles qui ornent des lieux cachés de l’ensemble du monde à débusquer.
Pour Bourson, au jour le jour, entre villes et nature, le familier est mystère dont l’éther effleure la beauté. D’où la capillarité d’une telle écriture. Elle s’épanche entre divers désirs. Dans le genre, c’est parfait car ce prosateur poète sent et voit « globuleusement ». Plonger à la surface de ciel, c’est aller y boire en portant un toast à un tel créateur. Il fait partie de ceux qui creusent la boue pour en trouver de l’or. Son écriture devient un « médic-amant » et aussi des bouquets de fleurs qui agrippent son ciel. Ici, il devient le nôtre.
jean-paul gavard-perret
Gilbert Bourson, Plancher du ciel, Editions Douro, collection « La Diagonale de l’écrivain », Chaumont, 2024, 120 p. — 16,00 €.