A priori Clémentine Mélois n’est ni une artiste (quel vilain mot) ni une poète (quelle ambition) mais une nécessite s’impose : « Il faut que je raconte cette histoire tant qu’il me reste de la peinture bleue sur les mains. Elle finira par disparaître, et j’ai peur que les souvenirs s’en aillent avec elle, comme un rêve qui s’échappe au réveil et qu’on ne peut retenir. Avec ce bleu, j’ai peint le cercueil de Papa. » Une telle écrivaine rêve d’habiller le monde de son père au moment de sa cérémonie funéraire. Et le livre devient une météorite en marchant sur la pointe des pieds. La dure loi du verbe trouve une légèreté en apparence hors de saison.
Bernard Mélois était un sculpteur qui vivait dans le capharnaüm de son atelier avec des étincelles de soudure. Lors de ses derniers jours, ses filles reviennent dans leur maison d’enfance. Avec leur mère, amis, et voisins, elles vont faire de sa mort une fête et de son enterrement une œuvre d’art. Le tout dans un périple en Bretagne pour faire émailler la croix, la customisation du cercueil, etc. De l’ouragan de la mort, tout s’en va vers une sorte de réserve de bonheur, consciente qu’en restant suspendue en l’air une fantaisie demeure irrésistible.
« Alors c’est bien » offre d’abord un regard sensible et inattendu sur la perte et la filiation. Mais c’est aussi l’hommage au père, bricoleur de génie qui lui a transmis son humour inquiet, son amour des mots et son vital élan de création. L’émotion ici n’a rien d’algébrique et exsangue d’une imagerie lourde ou sophistiquée. L’auteure n’a rien de réfractaire à toute irruption. Se jouent la métempsycose et une sorte de transcendance.
Par le verbe qui doit à une telle circonstance, il ne faut pas que le sens commun érige domicile partout. Sans pleurer ni rire surgit une dernière poche de résistance. Dans ce genre de situation, on peut se passer d’une justice à double vitesse. L’écriture et l’art se digèrent là où abondent les oripeaux de la maison. Ils font remonter la corde des émotions. Même si, pour accéder au trou noir où l’homme est aboli, demeurent des contraintes et les exigences de l’existence.
jean-paul gavard-perret
Clémentine Mélois, Alors c’est bien, Gallimard, collection L’arbalète/Gallimard, août 2024, 208 p.