Clémentine Mélois, Alors c’est bien (Rentrée littéraire 2024)

Mémoire

A priori Clé­men­tine Mélois n’est ni une artiste (quel vilain mot) ni une poète (quelle ambi­tion) mais une néces­site s’impose : « Il faut que je raconte cette his­toire tant qu’il me reste de la pein­ture bleue sur les mains. Elle finira par dis­pa­raître, et j’ai peur que les sou­ve­nirs s’en aillent avec elle, comme un rêve qui s’échappe au réveil et qu’on ne peut rete­nir. Avec ce bleu, j’ai peint le cer­cueil de Papa. » Une telle écri­vaine rêve d’habiller le monde de son père au moment de sa céré­mo­nie funé­raire. Et le livre devient une météo­rite en mar­chant sur la pointe des pieds. La dure loi du verbe trouve une légè­reté en appa­rence hors de saison.

Bernard Mélois était un sculp­teur qui vivait dans le caphar­naüm de son ate­lier avec des étin­celles de sou­dure. Lors de ses der­niers jours, ses filles reviennent dans leur mai­son d’enfance. Avec leur mère, amis, et voi­sins, elles vont faire de sa mort une fête et de son enter­re­ment une œuvre d’art. Le tout dans un périple en Bre­tagne pour faire émailler la croix, la cus­to­mi­sa­tion du cer­cueil, etc. De l’ouragan de la mort, tout s’en va vers une sorte de réserve de bon­heur, consciente qu’en res­tant sus­pen­due en l’air une fan­tai­sie demeure irrésistible.

« Alors c’est bien » offre d’abord un regard sen­sible et inat­tendu sur la perte et la filia­tion. Mais c’est aussi l’hommage au père, bri­co­leur de génie qui lui a trans­mis son humour inquiet, son amour des mots et son vital élan de créa­tion. L’émotion ici n’a rien d’algébrique et exsangue d’une ima­ge­rie lourde ou sophis­ti­quée. L’auteure n’a rien de réfrac­taire à toute irrup­tion. Se jouent la métemp­sy­cose et une sorte de transcendance.

Par le verbe qui doit à une telle cir­cons­tance, il ne faut pas que le sens com­mun érige domi­cile par­tout. Sans pleu­rer ni rire sur­git une der­nière poche de résis­tance. Dans ce genre de situa­tion, on peut se pas­ser d’une jus­tice à double vitesse. L’écriture et l’art se digèrent là où abondent les ori­peaux de la mai­son. Ils font remon­ter la corde des émo­tions. Même si, pour accé­der au trou noir où  l’homme est aboli, demeurent des contraintes et les exi­gences de l’existence.

jean-paul gavard-perret

Clé­men­tine Mélois, Alors c’est bienGal­li­mard, collec­tion L’arbalète/Gallimard, août 2024, 208 p.

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