Le jeu du chat et de la souris
Au moment où s’ouvre son procès, Céline cherche et trouve en Henri Mondor un soutien majeur. L’auteur du Voyage n’y va pas de main morte pour saluer « Le Grand Savant couvert de Gloire, repêchant du gibet le minable pustuleux poétasseux confrère »…. Le « Maître » répondra à son attente. Céline va encore le solliciter — certains diront le harceler — afin d’obtenir de lui un adoubement. L’auteur veut entrer dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Y être publié devient pour l’écrivain un rêve, une « fixette » voire une obsession. Le grand professeur de médecine répondra en lui offrant une préface tant souhaitée pour cette consécration d’édition.
Ces lettres ne se limitent pas toutefois à une adresse obséquieuse. Sous les ronds de jambes, Céline prouve qu’il cultive envers son bienfaiteur une réelle admiration. Certes, on ne saura jamais tout ce que cela cache, néanmoins en s’adressant à lui, Céline, lettres après lettres, définit son art poétique et réinvente sa vie. Il se retrouve paradoxalement tel qu’il est à travers ses rejets littéraires et ses choix. A la politesse et la réserve premières font souvent place coups de gueule et de cœur. L’écorché vif trouve des mots afin de gommer ses contradictions, inventer sa vérité à travers ses mensonges vrais. Il argumente ses rejets de la futilité et de la légèreté. Il est sûr de son bon droit, de son œuvre et va jusqu’au sang dans ses prises de risque.
Mondor succombe non par simple grandeur d’âme mais parce qu’il connaît la complexité des hommes. Entre l’académicien reconnu « illustre et bienveillant » et celui qui se veut le boueux, le sinistre qui a fait le choix d’être à côté des petites gens, la rencontre n’est donc pas fortuite ou accidentelle. Elle est même bijective. Mondor reconnaît en Céline l’écrivain et sait combien la condition de son correspondant est devenue difficile.
Entre les deux mondes, les deux hommes, existe un donnant-donnant. Mondor garde la capacité de réfléchir à froid devant le bouillonnant Céline et ses problèmes. Il possède la hauteur nécessaire pour relativiser l’aspect toxique de l’auteur des pamphlets afin de le sauver de la détestation où il est tombé. Jamais dupe des reconstructions des épisodes de la vie de son « collègue », il demeure séduit par le romancier. Compte-t-il plus que l’homme ? Les lettres ne permettent pas de trancher. Mondor sait néanmoins que, moche ou belle, il faut savoir la relativiser toute existence et les romans de Céline peuvent sauver la sienne. C’est pourquoi l’illustre correspondant se laisse séduire. Le subjugué est moins celui qui dit l’être que celui auquel il s’adresse.
jean-paul gavard-perret
Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Henri Mondor, coll. Blanche, Gallimard, Paris, 2013, 176 p. - 18,50 €.