Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Henri Mondor

Le  jeu du chat et de la sou­ris

Au moment où s’ouvre son pro­cès, Céline cherche et trouve en Henri Mon­dor un sou­tien majeur. L’auteur du Voyage n’y va pas de main morte pour saluer « Le Grand Savant cou­vert de Gloire, repê­chant du gibet le minable pus­tu­leux poé­tas­seux confrère »…. Le « Maître » répon­dra à son attente. Céline va encore le sol­li­ci­ter — cer­tains diront le har­ce­ler — afin d’obtenir de lui un adou­be­ment. L’auteur veut entrer dans la pres­ti­gieuse col­lec­tion de la Pléiade. Y être publié devient pour l’écrivain un rêve, une « fixette » voire une obses­sion. Le grand pro­fes­seur de méde­cine répon­dra en lui offrant une pré­face tant sou­hai­tée pour cette consé­cra­tion d’édition.
Ces lettres ne se limitent pas tou­te­fois à une adresse obsé­quieuse. Sous les ronds de jambes, Céline prouve qu’il cultive envers son bien­fai­teur une réelle admi­ra­tion. Certes, on ne saura jamais tout ce que cela cache, néan­moins en s’adressant à lui, Céline, lettres après lettres, défi­nit son art poé­tique et réin­vente sa vie. Il se retrouve para­doxa­le­ment tel qu’il est à tra­vers ses rejets lit­té­raires et ses choix. A la poli­tesse et la réserve pre­mières font sou­vent place coups de gueule et de cœur. L’écorché vif trouve des mots afin de gom­mer ses contra­dic­tions, inven­ter sa vérité à tra­vers ses men­songes vrais. Il argu­mente ses rejets de la futi­lité et de la légè­reté. Il est sûr de son bon droit, de son œuvre et va jusqu’au sang dans ses prises de risque.

Mondor suc­combe non par simple gran­deur d’âme mais parce qu’il connaît la com­plexité des hommes. Entre l’académicien reconnu « illustre et bien­veillant » et celui qui se veut le boueux, le sinistre qui a fait le choix d’être à côté des petites gens, la ren­contre n’est donc pas for­tuite ou acci­den­telle. Elle est même bijec­tive. Mon­dor recon­naît en Céline l’écrivain et sait com­bien la condi­tion de son cor­res­pon­dant est deve­nue dif­fi­cile.
Entre les deux mondes, les deux hommes, existe un donnant-donnant. Mon­dor garde la capa­cité de réflé­chir à froid devant le bouillon­nant Céline et ses pro­blèmes. Il pos­sède la hau­teur néces­saire pour rela­ti­vi­ser l’aspect toxique de l’auteur des pam­phlets afin de le sau­ver de la détes­ta­tion où il est tombé. Jamais dupe des recons­truc­tions des épi­sodes de la vie de son « col­lègue », il demeure séduit par le roman­cier. Compte-t-il plus que l’homme ? Les lettres ne per­mettent pas de tran­cher. Mon­dor sait néan­moins que, moche ou belle, il faut savoir la rela­ti­vi­ser toute exis­tence et les romans de Céline peuvent sau­ver la sienne. C’est pour­quoi l’illustre cor­res­pon­dant se laisse séduire. Le sub­ju­gué est moins celui qui dit l’être que celui auquel il s’adresse.

jean-paul gavard-perret

Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Henri Mon­dor, coll. Blanche, Gal­li­mard, Paris, 2013, 176 p. - 18,50 €.

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