Guillaume Basquin, L’Histoire splendide

Traver­sée 

C’est à une tra­ver­sée que nous convie Guillaume Bas­quin, avec L’Histoire splen­dide, dont j’ai par­tagé la com­pa­gnie à la fois esthé­tique et fac­tuelle une par­tie de l’été. Ce livre prend racine dans les années de confi­ne­ment, que nous avons tous subies, et qui tout compte fait laissent inter­ro­ga­teur (que l’on soit com­plo­tiste ou non).
Et même si l’ouvrage est par nature un livre de cir­cons­tance, le lec­teur ne s’arrête pas avec exac­ti­tude aux faits tant la pen­sée du texte se montre à lui. Il s’agit davan­tage d’un livre sur la poli­tique, sur l’art d’écrire et sur une forme de rébel­lion dont la colère n’est pas loin, acti­vant de la pen­sée, n’évitant pas les confi­dences impor­tantes, et dont la forme est en un sens une vraie aven­ture littéraire.

Plai­sir double donc, recherche de la beauté et inté­rêt pour l’intellection, grâce à un art de la pro­so­die, qui revient tout sim­ple­ment au goût par­tagé de la langue. Du reste, cela faci­lite la com­pré­hen­sion de ce voyage dans le domaine des idées, de la chose poli­tique, de la croyance, de l’homme en géné­ral. Il y a plai­sir à s’étonner, à phi­lo­so­pher un ins­tant avec l’auteur.
Cette his­toire splen­dide est avant tout une his­toire de rela­tion, donc un texte qui dit et qui lie. Car cette des­crip­tion du confi­ne­ment lié au Covid 19 — dont on ne connaît tou­jours pas aujourd’hui les limites ni le degré de mor­bi­dité -, ici base de l’énonciation, serait sans effet si la force de l’écriture ne nous invi­tait pas à une espèce de hors-champ du livre, dans ce qu’il tait — ou qu’il sou­ligne
a pos­te­riori.

Quant à moi, ce que j’aime dans la lec­ture, c’est aper­ce­voir l’écrivain, sa vérité — qui rend le style tri­bu­taire du tem­pé­ra­ment de celui qui écrit. Par­fois, appa­raît donc Guillaume Bas­quin. Son tra­vail de pilote, son goût pour l’Île de Ré, son humeur, sa culture qui en passe beau­coup par la musique ou le cinéma.
j’écris parce que je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour me débar­ras­ser de mes pen­sées — bonnes ou mau­vaises — le chant seul décharge l’individu d’une déme­sure quel­conque — entende qui a des oreilles !

Pour résu­mer le déroulé com­plexe de ce recueil de frag­ments — où l’on devine une ten­dance très contem­po­raine pour les éclats et les impres­sions de cut — sans amoin­drir le pro­grès (work in pro­gress ?) de cette espèce de jour­nal, je dirais que nous avons affaire à un écri­vain en son miroir, mais nul­le­ment devant son image nar­cis­sique.
Plu­tôt devant des frac­tures, des bouts, des cor­pus­cules de textes, des angles, des divi­sions, qui pour­raient cor­res­pondre aux mor­ceaux d’un miroir brisé lequel, pour finir, per­met­trait la construc­tion d’une œuvre par bouts, par extraits, par reflets aléa­toires dans un miroir en pièce. Ici un livre-miroir, un livre éclaté, tou­chant à dif­fé­rentes notions, thèmes, ins­pi­ra­tions. Ce qui unit, c’est la pen­sée qui ne cesse de se mani­fes­ter et de pro­duire du texte.

écrire par mon­tage / c’est comme tenir dans sa main deux pierres de silex & les frot­ter l’une contre l’autre sans cesse — que d’incendies alors ! — feux sol-air

J’ajoute que j’ai trouvé dans ce recueil de bri­sures un idéa­lisme phi­lo­so­phique, un idéa­lisme méta­phy­sique devrais-je mieux dire. L’auteur fait confiance au livre, ne le livre pas au soup­çon, et dès lors, donne confiance en lui.
Capa­cité du lan­gage à sau­ver, à ne pas tra­hir l’homme dans l’homme, à véhi­cu­ler une haute idée de la lit­té­ra­ture, à croire en son pou­voir performatif.

L’entre­prise de G. Bas­quin est d’étoffer le monde grâce au texte, lequel per­met d’agrandir et d’engendrer une réa­lité, sorte de conscience — chère à Teil­hard de Char­din — et de foi dans l’intelligence, dans l’art tout bon­ne­ment. L’on peut se confier, l’on peut décrire et démon­trer, tout cela reste le pou­voir de l’écrit.

dans mon appa­rente dérive aléa­toire je suis sou­mis aux bal­lot­te­ments & aux rou­le­ments des nuages je cherche le pas­sage je trouve le par­cours le plus bref le rac­courci : je passe (& ne tré­passe pas) tra­verse per­fore trans­perce trouve la faille la fente : les silences & les blancs de la lec­ture sépa­rant les mots appa­rem­ment col­lés les uns aux autres dans une écri­ture com­pact’ : le Kai­ros est avec moi

En matière musi­cale, je crois que l’on va de réci­ta­tifs en arias, peut-être vers une forme écrite d’un sprech­ge­sang tout à fait har­mo­nieux, légè­re­ment fluide, éthéré par­fois, œuvre dodé­ca­pho­nique peut-être ? Ce qui ne nuit nul­le­ment à l’hétérogénéité, aux dif­fé­rentes phases qui se suc­cèdent et font une par­ti­tion cho­rale.
Cette expres­sion demeure ori­gi­nale, et m’a beau­coup tou­ché, m’a concerné (même si je n’aime pas trop ce mot, mais ici il est indis­pen­sable pour carac­té­ri­ser ce que j’ai ressenti).

je suis toutes les formes à la fois : musi­cale peinte ciné­ma­to­gra­phiée com­po­sée mon­tée sculp­tée & enfin cal­li­gra­phiée : c’est une suite de minus­cules poèmes où les mots se touchent & s’é c a r t e n t

L’image du poète — ou peut-être l’imagination poé­tique de l’écrivain, son por­trait -, se défi­nit et se conçoit dans un champ ver­bal, champ ver­bal qui a son hors champ bien sûr, nous condui­sant aux idées. Est-ce là socra­tique ?
Je le pense, car ce qui prime dans la repré­sen­ta­tion du sujet c’est sa défi­ni­tion dans le monde éter­nel des objets.

J’ai lu ce livre à l’écriture épique, comme un poème de la rela­tion, objet néces­si­tant un sujet pour le jus­ti­fier, donc abso­lu­ment pas d’un point de vue maté­ria­liste. Et s’il faut que la lit­té­ra­ture s’adosse à un concept, je choi­si­rais l’idea capable de mon­trer la vérité. Pour conclure j’ajouterai que de cette His­toire splen­dide il reste une clarté du pro­pos qui montre par trans­pa­rence par exemple, la rhi­no­cé­rite venue de Rhi­no­cé­ros, la pièce d’Eugène Ionesco, ou sinon l’idée mar­quante d’une odys­sée joy­cienne qui ne veut s’achever, ayant une rela­tion avec les grands textes (Homère, La Bible…), de l’acabit d’un récit infini, comme le temps qui ne cesse de pas­ser.
Et ici, c’est plus l’angoisse de l’enrôlement, de la conta­mi­na­tion des idées fas­cistes — notre monde poli­tique baigne bel et bien dans ce jus noi­râtre -, et aussi du monde méta­pho­rique de la peur poli­tique (que l’on soit conspi­ra­tion­niste ou non), qui retiennent sou­vent le souffle du liseur, de son tra­vail, de sa puis­sance face à lui-même. L’ouvrage donne puissance.

Quittons-nous sur cette der­nière cita­tion de l’auteur :

ces pages ne sont cen­trales que si l’on retient la notion de volume sphé­rique tour­nant autour d’un point absent — cette convic­tion seule est à même de tenir un tel centre pour indé­fi­ni­ment déplacé & non seule­ment déplacé mais encore emporté dans le grand mou­ve­ment cos­mique inter­stel­laire lui-même : ô stella stellae !

didier ayres

Guillaume Bas­quin, L’Histoire splen­dide,  éd. Tin­bad, 2022 — 23,00€.

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