Trans”-poésie & manuel de survie très humain
Poète, chanteur, performeur, écrivain, théoricien, Mathias Richard fonde en 2007 l’ “agrégat mutantiste” (dont le “Manifeste mutantiste 1.1″ paraît en 2011 chez Caméras Animales), structure d’édition, label musical et organisation d’événements.
Déplorant la désertification culturelle et l’aseptisation du monde, son travail revendique une grande liberté formelle, la création de nouveaux genres et catégories et selon un principe premier :” Je travaille mon corps, je travaille ma voix, je travaille mes mots, je travaille ma pensée,” écrit l’auteur.
L’auteur privilégie des blocs de textes, des accumulations et cassures , invitant ainsi — écrit-il encore — “à se plonger sans concession dans une pensée une expérience, comme des shoots, des téléchargements de tête, une plongée dans la nuit.“
Son écriture, compressée mais aussi en effet de distorsion issue de tous les discours du monde et de l’intériorité, prouve ce que la philosophe Véronique Bergen pressentait : Richard Mathias est déjà un incontournable de l’écriture expérimentale actuelle.
Sous le label littérature, ce livre d’audace reste à l’égal de ses textes précédents : ceux du corps et d’un psychisme où reste “de la place pour les nouveaux venus”. Existe une sorte de “trans”-poésie constituée d’unités qui se heurtent. Dans ses rites de transvasements et mutations, la littérature exploite la réalité autrement pour en ouvrir une nouvelle perception.
Ce qui confirme de que Christophe Esnault annonçait : “Je m’irrite souvent de ne voir nulle part de littérature XXIème, ça y est j’ai trouvé, chez Mathias”. Se saisit la pensée qui ailleurs ne peut s’appréhender. L’auteur fait bouger les formes en divers souffles.
Cette poésie punk déblaie la littérature d’un humanisme convenu. S’y perd avec délice la boule et “si la tête ne rentre pas dans la pétanque, la pétanque rentre dans la tête”. Dès lors, pensées, réflexions, poèmes, visions, élans, confidences, blagues, désespérances, et même mantras forment un manuel de survie très humain écrit entre mars 2020 et février 2021 : donc, en pleine claustration épidémique, quand les évènements mondiaux et l’intime se confondent
La langue crée un univers atypique, détonnant et déformant. La fièvre monte. Celle d’une révolte de la langue héritière d’Artaud. Un cri se développe et s’échappe loin des entités formelles cautionnées par les idolâtres du formalisme éculé. Une telle démarche dépasse la négation dans ce qui devient une sorte d” ‘occasion-théâtre” où les décors sont renversés.
Une division du culturel a lieu dans une démonstration poétique et selon des matériaux littéraires rarement utilisés. Le tout dans les spasmes d’une liberté qui s’élève comme principe littéraire premier.
jean-paul gavard-perret
Mathias Richard, 2020 : L’année où le cyberpunk a percé, Caméras Animales, 2022, 70 p. — 10,00 €.