La difficile lutte des femmes
Les auteurs, s’appuyant sur des faits historiques, des événements authentiques, mènent une étude approfondie sur la situation de la femme au début du XXe siècle dans le milieu bourgeois.
En 1936, une avocate s’apprête à se rendre à son cabinet après avoir feuilleté, en diagonal, les principaux journaux. Un nom attire son attention, celui de Raoul Villain, abattu de quelques balles sur une plage d’Ibiza. Elle revit alors toute la période de sa vie liée à ce triste individu. Elle se revoit adolescente, en proie à des forces qui refusaient d’être canalisées, domptées pour faire d’elle une fille à marier, une épouse effacée, une quantité négligeable dans la vie sociale. Même si elle a les exemples de George Sand ou de Marie Curie, elle subit le poids que la société impose aux femmes.
Lorsqu’elle atteint ses dix-sept ans, elle rencontre Rodolphe, un jeune libraire chez qui elle va chercher les livres commandés par sa mère. Ils bavardent, échangent. Elle a découvert Balzac et sa Physiologie du mariage. Elle fait part de son état d’esprit. Ils se rapprochent tant qu’ils deviennent amants.
C’est l’affaire Caillaux, cette dame qui tente d’abattre le harceleur de son époux, qui va être le révélateur de son avenir, lui faire découvrir qu’une femme devait se battre pour la cause des femmes. Mais quand son père lui présente celui qu’il lui a choisi comme époux, elle tergiverse, négocie, demande à faire des études et obtient de s’inscrire en capacité de droit contre la promesse d’épouser Eugène lorsqu’elle aura son diplôme.
Le statut des femmes, même s’il existe quelques exceptions, les relègue aux tâches ménagères, à la tenue de la maison et au souci pour des frivolités vestimentaires. “Les femmes étaient prisonnières d’un bagne privé impitoyable.” Avec le parcours de leur héroïne, sur les pas de celle-ci, les auteurs brossent une situation et dénoncent les exigences du mâle tout-puissant qui règne sans partage comme encore bien trop souvent, aujourd’hui, de par le monde.
Ils structurent leur propos en utilisant nombre de références littéraires, nombre d’affaires et décrivent, après l’assassinat de Jean Jaurès, les rebondissements du procès de son assassin dans la cadre de la Grande Guerre.
Reprenant des auteurs qui ont milité pour les droits des femmes, pour plus de liberté pour elles, tels Balzac qui compare le mariage à une forme déguisée de prostitution, les frères Paul et Victor Margueritte avec Femmes Nouvelles, ils décrivent la détermination de quelques héroïnes et la participation d’Ernestine, en tant qu’avocate débutante, au procès de Raoul Villain, le meurtrier de Jaurès le 1er août 1914 dans la poudrière qu’était l’Europe.
Ils racontent avec précision, avec des arguments étayés par des sources fiables, l’évolution d’Ernestine, son parcours qui, même s’il s’agit d’une héroïne de fiction, semble être celui qu’une jeune femme déterminée pouvait suivre à cette époque.
Parallèlement, ils retracent la Grande Guerre et ses désastres tant pour les combattants que pour les civils à l’arrière, saluant l’opportunité pour les femmes de pouvoir accéder à des emplois que la mortalité masculine ne permettait plus de pourvoir. Ils évoquent également la pandémie dite de la Grippe espagnole et ses millions de morts.
Ernestine ou la justice, mêlant Histoire et fiction, est un roman au thème d’une actualité brûlante dans une Europe qui ne sait pas s’unir, où la remise en cause des droits des femmes devient monnaie courante, où il existe encore des société au patriarcat absurde, où des individus nient la légitimation de la moitié de l’humanité.
serge perraud
Emmanuel Pierrat & Joseph Vebret, Ernestine ou la justice, Les Escales, coll. “Domaine français”, novembre 2021, 288 p. – 20,00 €.