Noël Herpé, Les films me regardent

Dédou­ble­ment cinématographique

Univer­si­taire le jour, Noël Herpé effec­tuait la tour­née des bars de nuit à la recherche de lui-même dans les yeux des autres. Mais il se cher­chait et se cherche encore dans les films. Cri­tique de cinéma à Posi­tif, spé­cia­liste de Roh­mer, Gui­try et René Clair il cher­cha long­temps à écrire sa propre œuvre. Mais il y eut pour lui autant de faux départs lit­té­raires que d’échecs amou­reux.
L’âge venant, cette inca­pa­cité dis­pa­raît. Au moins sur le plan de la littérature…

Et lorsque  Noël Herpé évoque les acteurs du cinéma muet, de la trans­po­si­tion fil­mique du vau­de­ville, l’adaptation lit­té­raire chez Roh­mer, il crée sa propre his­toire du cinéma. Elle est autant impres­sion­niste qu’expressionniste.
Plu­tôt que de pré­sen­ter des ana­lyses, son livre est une manière d’ “être atten­tif à un mou­ve­ment moins conscient. Celui qui a consisté, pour moi, à m’installer dans le cinéma que j’aimais, comme pour cogner de l’intérieur contre la vitre.”

L’auteur semble ne pou­voir s’installer en lui-même qu’en “s’abîmant” — à savoir se mettre en abyme — en emprun­tant la peau écran de per­son­nages afin de re-naître.
Dans ce but, il échappe aux seg­men­ta­tions chro­no­lo­giques que l’histoire du cinéma propose.

Le fil­mique ne connaît pas pour lui de rup­tures. Il reste un long fleuve plus ou moins tran­quille où tout voi­sine en har­mo­nie : il suf­fit que les films le regardent.
Et ce, jusqu’à renouer un lien de la fic­tion avec la vie “jusqu’à me don­ner à voir, dans mes films, comme l’otage d’un récit qui me pré­cède, que je n’ai pas décidé.”

Les textes ras­sem­blés ici deviennent un dia­logue avec les autres “spec­ta­teurs” que les mêmes films regardent de près ou de loin. L’image dans ce cas absorbe pour d’abord nous diluer puis nous cris­tal­li­ser, par­fois avec la volonté de s’effacer dans le passé mais “avec l’espoir que ce simu­lacre va vous rendre la vie.” comme il l’a res­ti­tué à l’auteur depuis long­temps.
Et cela suit son cours.

Tout débuta pour l’auteur dès l’âge de dix ans. Pour lui, la trop oubliée Gaby Mor­lay devint l’icône d’une fémi­nité ras­su­rante qu’il ren­con­tra rare­ment dans sa vie. Dès lors, il la pour­suit en “déam­bu­lant déguisé en femme dans mon film”.
L’acteur y retrouve non seule­ment sa place mais son corps.

Manière de pas­ser de l’autre côté du miroir bien mieux que dans La rose pourpre du Caire de Woody Allen. Pour preuve, les his­toires que contiennent ce livre de déri­va­tions intem­pes­tives.
L’auteur peut même s’imaginer “dans le rôle d’un guillo­tiné d’autrefois, émer­geant juste avant de mou­rir de l’opacité des archives.”.

Mais de telles his­toires ne se veulent pas le fruit d’un roman­cier.
Par cette exter­na­li­sa­tion, Herpé ne fait pas oeuvre de fic­tion, il croit pas­sion­né­ment à ce que son “fan­tôme” lui raconte à tra­vers le dédou­ble­ment qu’offre le cinéma.

jean-paul gavard-perret

Noël Herpé, Les films me regardent, Edi­tions Hémi­sphères, Mai­son­neuve & Larose, coll. “Ciné * Cinéma”, Paris, 2021, 222 p. — 15,00 €.

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