Réincarné naguère sous forme d’un panda par les autres dessinateurs de l’atelier Nawak de la rue Quincampoix, Emile Bravo reste fidèle à la ligne claire mais charbonneux donc revue à sa main. Il propose des narrations denses et souvent profondes par un retour vers la BD belge non seulement dans l’esthétique mais ses personnages et l’Histoire.
Dans la tétralogie de ce Modiano graphiste héritier de Hergé, Franquin et Goscinny, Spirou et Fantasio sont plongés à Bruxelles devant l’horreur (antisémitisme, déportation). Mais l’ingénuité de l’un et la naïveté de l’autre transforment la dureté du moment et leur donnent une raison de vivre dans la pression du quotidien, la faim et la peur.
Fantasio collabore ici au journal “Le Soir” de Bruxelles comme Hergé le fit et Spirou porte ses pantalons de golf à la Tintin. Dans son empathie naturelle il ignore néanmoins les données politiques et ce que cachent les idéologies dans un Bruxelles pleine de terrains vagues.
Prenant de plain-pied la guerre dans le ventre, les deux héros vont apprendre que les enfants passent mieux à travers les mailles des Nazis car ces derniers ne s’intéressent pas aux lieux où ils se retrouvent (théâtre de marionnettes).
L’univers est grisâtre, terne, sombre à l’exception des costumes étonnants et voyants des deux héros qui paraissent de parfaits irresponsables. L’auteur évite ici les manichéismes sociologiques : la division entre les bons et les méchant est plus complexe qu’il n’y paraît.
Et un tel album sort des a priori en expliquant ce qui peut se passer dans les crânes à l’exception de ceux des soldats allemands qui deviennent plus des allégories du mal que des personnages psychologiques dans la façon dont Bravo les dessine.
L’album évoque néanmoins les perversion des traîtres et le climat où chacun se méfie de tous. Il montre parfois l’inconscience et la gaieté au sein de l’horreur de ceux qui partent et qui ne supposent pas forcément l’impensable. On se doute que la violence va devenir plus forte dans les prochains albums.
Mais, pour l’heure, Spirou n’est victime que de cauchemars. Ils cassent le récit, brouillent ses cartes mais sont des pierres d’achoppement à la suite de l’Histoire et des aventures de ces magiciens d’Oz. Preuve que cette tétralogie surprenante et forte mène au-delà de bien des récits et des genres réputés plus sérieux et “chics” que la BD.
jean-paul gavard-perret
Emile Bravo, Spirou l’espoir malgré tout (Deuxième partie de la tétralogie Un peu plus loin vers l’horreur), Editions Dupuis, 2019.