Choisir le terme de “roman” pour parler du livre de Tristan Félix est problématique. Se penchant à sa portière, il pourrait sembler que nous allons tomber dans l’histoire la plus chronologique et classique qui soit. Et c’est pourquoi le terme de roman reste problématique. Existe plutôt une sotie, un délire, une farce, un vaste filet de provisions.
Non, décidément, le terme roman ne suffit pas. Car la fiction prend des tournants surréels jusque dans son parti dépris des choses, des êtres et son exaltation des animaux. Le sous-titre de poésie irait, sinon comme un gant, du moins mieux pour évoquer ces fragments temporels qui deviennent des contes et fabliaux d’un nouveau genre. Mais placer un texte sous cette dénomination générique revient désormais à le vouer au billot puis au pilon.
Va donc pour la terme de fiction. Celle qui se fait sirène au bord de l’océan y entame des neuvaines ou revient sur le lieu de ses crimes et fait bien plus encore. Ovaine la polymorphe et multi-facettes “jongle avec ses molécules, le corps au bout d’une branche”, consulte des savants fous, “étale son corps en viager”. Et ce n’est là encore qu’un mince aperçu des grandes heures de la tailleuse non de pipe mais de bavette avec un escargot mâle et en rien hermaphrodite.
Ovaine demeure saine et sauve car elle n’a jamais mal à ses animaux. Et ce, pour une raison majeure : contrairement au commun des mortels, elle n’est pas habitée par les monstres vermifuges mais elle fait vivre loups et coléoptères à ses côtés dans ce livre des métamorphoses.
Alors oui ! voilà la clé ! Pour parler d’un tel livre, il faut se dégager des genres habituels et évoquer une littérature ovidienne et ovoïde. L’avenir est ici chez l’auteur latin et dans les oeufs — fussent-ils de boeuf.
Dans ces divagations nécessaires Tristan Félix fait preuve non seulement du “coeur mis à nu” (Baudelaire) mais de toute sa fantaisie. La poétesse multiplie les historiettes dont l’aspect spectaculaire et débridé impose le jeu d’une intériorité en marche dans la traversée du désir (d’écrire — mais pas seulement) plus que de la simple et dure nécessité de durer en cette fiction d’un journal intime (du 9.10.2007 au 23.5.2019) suivi d’un coda de louve ailée.
lire notre entretien avec l’auteure
jean-paul gavard-perret
Tristan Félix, Ovaine La Saga, Tinbad Roman, Editions Tindbad, Paris, 2019, 228 p. — 23,00 €.
Entièrement d’accord ! Merci.
Cher Jean-Paul,
Ovaine et moi vous remercions infiniment de cette salve de regards critiques; ce dernier, particulièrement, nous va droit au cœur de chauffe. Votre fidélité nous touche. Écrire crée un monde dont on rêve qu’il s’acte, comme jadis “la fine amor” chantée par un Chrétien de Troyes séduisit les épaisses brutes à cheval, qui rêvèrent de devenir Perceval,Tristan ou Yvain et d’aimer leur Dame sans les violer; les rares beautés oubliées par la sidération de la laideur brillent aujourd’hui d’un éclat dangereux. Une hanche de pie, une mamie plissée de rides d’or, une renoncule d’eau valent de vivre. On se dit parfois que la poésie est affaire de survie. “Roman”, certes, peu idoine, mais “poésie” conduirait aussi au pilon (fût-il confit). Nous vous saluons. Tristan Felix, Ovaine et Bov (sans compter Gove de Crustace)