Enfin un livre positif sur Sollers. Certes, ce n’est pas le premier, mais généralement — en dehors des compliments d’usage et du cercle des amis et des courtisans — l’auteur permet aux aigris de se défouler. Rachet n’appartient à aucun de ces deux groupes mais il crée une travail exhaustif sur un aspect essentiel de l’oeuvre de l’auteur de “Paradis”.
Sous-titré “Une contre-histoire de l’art”, l’écrivain pertinent remixe les divers écrits (livres théoriques, romans, articles) sur le sujet. Sollers y offre un miroir non déformant mais “recomposant” des plus intéressants. S’y trouve rassemblés — à partir de la première image sollersienne (L’Olympia de Manet) une histoire fléchée de l’art surtout depuis la Renaissance italienne, là où les corps et les portraits s’enroulent non seulement autour de l’esprit et de Dieu en passant par les grands moments de la fin du XIXème siècle français et jusqu’à la peinture contemporaine européenne et américaine (entre autres).
Olivier Rachet remarque fort justement et dès sa préface combien chez Sollers l’axe majeur reste l’éros et ce, quels que soient les temps et les écoles : peinture religieuse, bergeries bourgeoises, réalisme voire conceptualisme et abstraction passent par cet angle d’attaque. Ce dernier évite la sclérose des classifications qui impliquent une certaine rigidité et ne peuvent jamais embrasser l’art dans son mouvement.
L’auteur comme son modèle l’épouse et l’un et l’autre osent des rapprochements qui rendent à l’art sa souplesse. Pour “parler” des corps dionysiaques ou crucifiés, Sollers sait faire des choix plus qu’estimables et des rapprochements inédits. Sont reliés par exemple Picasso, De Kooning, Bacon qui ont proposé, s’appuyant sur le Nietzsche tragique, “La saison en enfer” de Rimbaud ou les “Chants” de Lautréamont, de nouvelles fêtes galantes et sanglantes à Venise ou ailleurs. Elles ont d’autres choses à dire et à montrer que l’iconographie insignifiante d’un Warhol.
Dès lors, les montres de l’art sont remises à l’heure. Et ce pour une raison majeure : Sollers, esthète jouisseur intelligent et cultivé, ne cherche jamais dans la peinture de l’éros — bien différente d’une peinture érotique — un art qui se contenterait d’ajouter du leurre au leurre, du fantasme au fantasme.
S’intéressant à ce qui se passe “dans” la peinture, et non sur ses bords ou derrière, peu sensible à l’actionnisme, il préfère le résultat à son prélude. Preuve que la peinture a toujours beaucoup à dire et à montrer. Elle attend ses nouveaux Fra Angelico et Botticelli. Et ils n’existent pas qu’en rêve mais sont une réalité même si — à périodes récurrentes — la fin de l’histoire de la peinture est annoncée.
Olivier Rachet écrit donc un livre essentiel et sans la moindre flagornerie. Il fait le point sur le travail esthétique de Sollers et prouve combien ses “prise de vues” sont alimentées par un appel à la beauté et la liberté que toute société tente d’étouffer. Sollers s’oppose au rouleau compresseur des idées toutes faites sur les époques et les mouvements. Il reste de ceux pour qui la soumission à la littéralité du réel ou le simple art d’idée n’a rien à proposer.
Il faut aller le chercher là où les corps parlent comme Bataille (une des référence de Sollers) l’a souligné. Car sous l’éros, thanatos n’est jamais loin.
Mais les artistes conséquent cherchent d’autres voies afin d’explorer cette dualité et réveiller l’esprit et le corps. A la perversion cachée du monde répond celle de Sollers et des artistes qu’il aime : ceux capables de quitter le monde de la limite par et pour celui de la beauté dont le mouvement déplace les lignes, les formes, les couleurs dans une contre-figuration du réel.
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jean-paul gavard-perret
Olivier Rachet, Sollers en peinture, éditions Tinbad, coll. Tinbal essai, Paris, 2019, 220 p. — 21,00 €.