Garance Hayat est journaliste, conceptrice-rédactrice free-lance et auteure de théâtre. Jamais loin des barbares propose une sorte de synthèse poétique entre son langage dramatique et la fable journalistique du monde à travers ce qu’elle nomme un “témoignage fictif” d’une héroïne — Awa —, ses cauchemars ou sa réalité.
“Comme chaque année de janvier à avril, je ne dors plus. Je fais des cauchemars.” dit-elle. Mais très vite le doute est permis : “Je suis arrivée en France en 2002. La dernière fois que j’ai foulé la terre de mon pays, j’étais debout devant une fosse gigantesque.” Nous accompagnons l’auteure dans cette vision d’enfer : “On raconte que tous ceux que l’on jetait dans la fosse n’étaient pas morts (…) qu’on aurait dit un océan de corps agonisants”. Mais de nouveau l’auteure fait traverser le monde en quittant un pays de massacres génocidaires : “Nous avons fui ma mère, mes frères, mes enfants et moi au début de la saison chaude. Je viens d’une bonne famille ; nous sommes tous instruits. »
Existe sous la “feinte” de témoignage, bien plus. Loin de toute apologie du chaos, l’auteur fait jaillir les terreurs aussi primitives que bien réelles. C’est le moyen de lever les hypothèques sur les souffrances humaines, de remonter les démons qui transforment le monde en catastrophe.
Existe une ronde macabre aussi intime que générale.
Garance Hayat ne cherche ni catharsis, ni purgation mais un exutoire tragique à des hallucinations. Celles-ci plongent entre rêve ou plutôt cauchemar éveillé ou brouillé et réalité. Jaillit l’évidence d’un lieu ou d’une situation décalée en une expérience paradoxale, intense, vorace.
Les certitudes comme les apparences sont mangées afin que d’autres images nous dévorent, non par effet de délire mais de transfert tragique. Celui d’un chant sombre, sobre, sourd et lumineux.
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jean-paul gavard-perret
Garance Hayat, Jamais loin des barbares, éditions derrière la salle de bain, Maison Dagoit, Rouen, 2019 — 6,00 €.