Pierre Mari, Résolution

Une magis­trale étude de l’intégrité des per­son­nels rabou­grie par l’idéologie méca­niste des lea­ders d’entreprise

 Le temps est l’élément indis­pen­sable de toute prise de déci­sion qui se res­pecte, et c’est pour­quoi le nar­ra­teur — ni nommé ni décrit — de ce court récit devra attendre le terme d’une lente matu­ra­tion pour abou­tir à la ” réso­lu­tion ” qui est l’objet de ses inter­ro­ga­tions. Et s’il lui faut autant de temps, à notre héros, pour faire son choix et tran­cher, c’est qu’il doit pré­ci­sé­ment com­po­ser avec des heures qui fuient sans cesse (hor­mis les jour­nées de repos du week-end, dont une bonne par­tie est consa­crée à un entretien-promenade avec l’ancien cri­tique rebelle V., ayant choisi, lui, de quit­ter leur entre­prise com­mune) et le met aux prises, suite à un chan­ge­ment de res­pon­sa­bi­li­tés dans une société laby­rin­thique, avec la dif­fi­culté majeure de gérer l’humain au sein du dépar­te­ment des Res­sources humaines.

Un chan­ge­ment de cap et une orien­ta­tion per­son­nelle, au bout de six ans d’ancienneté, face à l’opacité des grands diri­geants et de leur sabir que com­plique encore la poli­tique fort expan­sion­niste des chefs de Nexo­rum bou­le­ver­sant sans ver­gogne les repères his­to­riques de l’entreprise et trai­tant, plus que jamais, les indi­vi­dus comme des numé­ros inter­chan­geables ou du bétail.
Les 130 pages de Réso­lu­tion se lisent alors comme le trou­blant jour­nal intime/extime d’un ” opé­ra­teur de mobi­lité ” devant faire face à la poli­tique mana­gé­riale, aux codes séman­tiques et com­por­te­men­taux de l’Entreprise avant que ne sur­vienne la grande catastrophe.

Ce qui sur­prend dans ce pre­mier roman de Pierre Mari, auteur d’un essai remar­qué (Kleist, un jour d’orgueil, PUF, 2003), c’est la jus­tesse et la séche­resse du ton : loin des fio­ri­tures sty­lis­tiques et nom­bri­listes dégou­li­nantes de ceux qui racontent à la pre­mière per­sonne leur expé­rience d’un licen­cie­ment ou d’une démis­sion pro­fes­sion­nels, ici il n’y a jamais aucun mot de trop (le livre fonc­tionne à l’image du cahier tenu par le nar­ra­teur où il dresse un por­trait saillant de ses cama­rades, dési­gnés par une seule ini­tiale). Le super­flu des­crip­tif ou psy­cho­lo­gique est vaillam­ment mis de côté au pro­fit du compte rendu, à limite de la froi­deur et de l’ironie mor­dante — voire de l’abstrait ratio­na­liste (à l’instar de la peu ragoû­tante cou­ver­ture dont les édi­tions Actes Sud gra­ti­fient le roman ! ) — des dys­fonc­tion­ne­ments crois­sants des rouages de la ter­mi­tière Nexo­rum et de l’impasse où se trouvent bien­tôt réduits les col­lègues de celui qui parle.

Cette sédui­sante éco­no­mie du pro­pos, celle du héros comme celle de l’auteur, concourt à faire de ce roman un bijou de constat quant à l’éthique et aux dérives des grands groupes — sou­vent à la limite des orga­ni­sa­tions tota­li­taires — qui emploient des mil­liers d’individus, cela tout en met­tant l’accent sur ce qu’il reste de ” sin­cé­rité ” chez ces employés absor­bés par leur fonc­tion jusqu’à oublier qui ils sont. Bref, une étude en règle de l’intégrité des per­son­nels rabou­grie par l’idéologie méca­niste des lea­ders. Magis­tral et brillant.

fre­de­ric grolleau

Pierre Mari, Réso­lu­tion, Actes Sud, col­lec­tion : Domaine fran­çais, 2005, 131 p. — 15.00 €

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