ND. –Elle : celle qui marche en beauté — entretien avec l’artiste

Chaque œuvre de ND.-Elle est une ava­lanche de spasmes en cou­leurs vives. Nulle ques­tion de trou­ver un centre dans le mou­ve­ment des formes. D’où des suites d’ouverture qui offre au regard une façon de se défaire comme une robe se défait. Chaque œuvre n’est plus un état mais un élan, un flux de marée mon­tante. Un front se met en place en un jeu de cache-cache pour ce qui peut enfin se don­ner en par­tage. Exit la divi­sion abstraction/figuration.
Voyons en l’artiste la pri­mi­tive du futur. Elle ouvre des cibles. Des semences poussent en syn­cope ou en des ébou­lis lumi­neux. Ils lavent l’ombre, forcent l’habituel cachot des images stan­dards. L’artiste reste néan­moins en paix au cœur des tem­pêtes qu’elle fomente au sein de ses îles incon­nues et des situa­tions inédites. Cher­chons en de tels vol­cans com­ment sombrent les ténèbres. Il faut entrer dans leur ventre afin que s’éclipse la nuit. Res­tent des inti­mi­tés de ver­tiges : arêtes vives, tor­sions, poin­tillés, ten­sions et scansions.

Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je dois avouer que je ne suis pas du matin. Mais après un petit-déjeuner varié et copieux (et pour­tant je ne suis pas grosse !), l’envie de peindre me sai­sit assez vite sans que cela ne devienne une rou­tine quotidienne.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je vou­lais deve­nir archéo­logue ou vété­ri­naire : archéo­logue parce que j’aime fouiller les choses et le passé inconnu ; vété­ri­naire car j’ai tou­jours voulu gar­der un lien avec les ani­maux et, de façon plus géné­rale, avec la nature.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé sans regret à une vie sociale plus nor­ma­li­sée (juriste, avo­cate, commissaire-priseur…).

D’où venez-vous ?
Comme eur­asienne, je suis issue de cultures mul­tiples. Cette variété s’est enri­chie avec mon mariage, mon époux étant lui-même au croi­se­ment de cultures et reli­gions diverses.

Qu’avez-vous reçu en héri­tage ?
J’espère avoir hérité de cer­taines qua­li­tés artis­tiques de mes parents : le sens déco­ra­tif de mon père qui a contri­bué dans les années 70 à l’embellissement de l’aéroport d’Orly . L’art de la cui­sine et de sa pré­sen­ta­tion que ma mère a déployé avec suc­cès dans ses restaurants.

Qu’avez-vous dû aban­don­ner pour votre tra­vail artis­tique ?
J’ai aban­donné l’idée de reve­nus régu­liers et d’un confort assuré. J’ai gagné au change en réa­li­sant main­te­nant mes aspi­ra­tions profondes.

Un petit plai­sir– quo­ti­dien ou non ?
J’aime bien boire un café au goût ita­lien, cares­ser mon chat avant de pra­ti­quer ma séance quo­ti­dienne de médi­ta­tion ou de yoga.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Il m’est dif­fi­cile de répondre à une telle ques­tion car on tombe sou­vent dans l’illusion de croire que l’on se dis­tingue des autres. Cepen­dant, si je peux me défi­nir ainsi, je suis plus sen­sible à la poé­sie que dégage un tableau qu’au déploie­ment spec­ta­cu­laire de tech­niques inha­bi­tuelles. Le « hap­pe­ning » réside pour moi davan­tage dans la révé­la­tion d’une atmo­sphère que dans la créa­tion d’un scan­dale ou d’une pro­vo­ca­tion arti­fi­cielle de l’attention.

Où travaillez-vous et com­ment ?
Je tra­vaille dans mon ate­lier sur dif­fé­rents maté­riaux (feuilles de des­sin, car­tons, toiles…), à l’acrylique pour l’essentiel, sur che­va­let ou par terre. Sur un plan moins manuel, mes maté­riaux sont mes impres­sions, mes res­sen­tis, mes sen­sa­tions, mes émo­tions du moment ou d’un passé plus lointain.

Quelle fut l’image artis­tique qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Lors d’une expo­si­tion à Paris, il y a une quin­zaine d’années, j’ai été vive­ment frap­pée par une Madone d’un peintre manié­riste véni­tien, Lorenzo Lotto. Ce tableau me parut à l’époque faire coexis­ter éton­ne­ment des lignes et des cou­leurs, sinon dis­cor­dantes, du moins inha­bi­tuelles du plus bel effet intérieur.

Et votre pre­mière lec­ture ?
« Croc-Blanc » de Jack Lon­don en rai­son de son atta­che­ment à la nature, aux ani­maux et de son goût de la liberté par rap­port à une société trop nor­ma­li­sée. Ce titre me vient immé­dia­te­ment à l’esprit.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute toutes sortes de musique, du baroque à Charles Tre­net. J’hésite encore entre le Sta­bat Mater de Per­go­lèse ou celui de Vivaldi. En ce moment, j’écoute en boucle dans ma voi­ture le CD d’une chan­teuse du Cap-Vert, Cesa­ria Evoria.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Parmi les livres que j’ai par­ti­cu­liè­re­ment aimés, je cite­rai volon­tiers « Les nuits dif­fi­ciles » de Dino Buz­zati. Ce sont de très petites nou­velles qui vous pro­jettent en peu de lignes dans un pay­sage ima­gi­naire et insolite.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Othello » de Sha­kes­peare dans la ver­sion ciné­ma­to­gra­phique de Bra­nagh m’émeut tou­jours autant. Dans le genre sha­kes­pea­rien, j’ai éga­le­ment appré­cié « Gla­dia­tor » de Rid­ley Scott par son sens du tra­gique et la noblesse de cer­tains carac­tères. J’ai éga­le­ment été sen­sible au film japo­nais « Après la pluie », tiré d’un scé­na­rio de Kuro­sawa. J’ai été émue par la dignité et l’indépendance d’esprit du samou­raï Ronin face à l’incompréhension publique et à un des­tin quasi tragique.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une image trop impar­faite de moi-même. J’ai tou­jours à cœur de la rele­ver dans la jour­née car je n’aime guère les gens qui se laissent aller.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé écrire à des cré­tins ou à des gens qui jouent l’important.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
J’aime par­ti­cu­liè­re­ment l’Italie qui demeure pour moi, en dépit de tous ses défauts en poli­tique et de la mafia, un pays senza para­gone (sans com­pa­rai­son). La civi­li­sa­tion du passé conti­nue d’y rayon­ner ainsi que l’art de vivre au quotidien.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Parmi les écri­vains, j’aime par­ti­cu­liè­re­ment l’univers de Bal­zac et le style flam­boyant de Vic­tor Hugo. Parmi les artistes, les pein­tures et les des­sins de Léo­nard de Vinci me fas­cinent tou­jours. Les auto­por­traits de Rem­brandt me touchent pro­fon­dé­ment. Les pein­tures du Cara­vage m’étonnent chaque fois. Au nombre des peintres plus récents, j’ai eu l’occasion d’admirer à nou­veau les œuvres de Tur­ner dans une expo­si­tion à Londres. Dans la même ville, j’ai eu éga­le­ment la chance de m’imprégner à nou­veau des pein­tures d’un peintre abs­trait anglais, Peter Lanyon.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un tableau très grande taille (XXL) du peintre expres­sion­niste abs­trait amé­ri­cain Clif­ford Still me convien­drait tout à fait.

Que défendez-vous ?
Je m’efforce d’être un peu à la hau­teur de ce pro­verbe navajo : « Marche en beauté » dans le sens propre et figuré.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan « L’amour, c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ? »
La défi­ni­tion de l’amour par Lacan me parait être une des­crip­tion névro­tique dans laquelle cha­cun offre à l’autre sa propre demande. Sa concep­tion com­porte une part de vérité, mais la phrase me semble être une for­mule bien frap­pée plu­tôt qu’une vérité com­plète de l’être humain.

Que pensez-vous de celle de W. Allen « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
Les phrases de W. Allen me font tou­jours pen­ser au-delà de leur humour. Cet apho­risme inter­ro­ga­tif évoque pour moi ceux ou celles qui suivent des rituels sans se poser la ques­tion de leur rai­son d’être.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La ques­tion que vous devriez vous poser vous-même.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er octobre 2017.

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