L’indiscrétion à l’égard de l’impossible
Avec son nouveau livre, Serge Ritman donne — plus qu’une suite — un inachèvement à Tu pars, je vacille. Il s’agit en effet non de fermer le banc mais de montrer comment le monde avance ou vacille depuis l’absence de l’aimée dans un ensemble de textes où le « Tu à l’infini » se termine ou presque par un «A jour» apocalyptique. L’auteur rassemble des textes dans lesquels le jeu de la répétition est remplacé par celui de la variation.
Ecrivant « en apnée », Ritman tente de respirer dans un tel ensemble. Il demeure obsédé ou assiégé par une forme de substitution comme s’il n’existait que par la disparue. Toutefois, il ne convient pas de concevoir un tel rapport comme identification.
Les textes sont là pour mesurer l’incommensurable, lequel crée un rapprochement d’interruption pour que celle-ci demeure impossible. Existe donc une forme d’indiscrétion à l’égard de l’impossible. Le langage devient l’exaltation de l’absente et un perpétuel dialogue avec elle. Avec autant de « retenue que de volubilité » face à « la Ronde » qui le fait danser et résonne en lui, le langage, son exigence sont surélevés dans une retenue, chez l’exilé involontaire, non atteinte pas les mots. Ils sont là pour illimiter les limites du penser dans un excès entre — et suivant les textes — syncope ou épochè.
Rien donc de figé. Les titres mêmes des « chapitres » suppriment les interprétations paresseuses là où le mot transcendance est sinon trop fort du moins pas le bon car il imposerait le silence que Ritman ne peut accepter. Existe plutôt l’immanence où le perpétuel renvoi de l’homme à la femme et où la sensibilité et la subjectivité ne se laissent pas satisfaire ou contaminer par le heurt de la plus grande des pertes.
Ritman reste donc, la fin du monde ayant eu lieu, peu réceptif à la résilience. Il préfère l’outrance là où le poème n’est pas orphelin mais fait battre deux cœurs dans le salon littéraire du corps cloué mais où couve sa résurrection. Si bien que la gisante vit en des manifestations poétiques à valeur de présence dans l’énigme d’une trace indéfrichable à déchiffrer loin des règles du jeu et du je.
jean-paul gavard-perret
Serge Ritman, Ta résonnance, ma retenue, Tarabuste éditeur, Saint Benoit du Sault, 2017, 320 p. — 22,00 €.