Filip Forgeau, Journal du pays où je ne suis pas né & Rosa Liberté

Marcher dans le bleu

Le récit de Filip For­geau est pas­sion­nant par son éco­no­mie même. Il raconte l’histoire d’un petit gar­çon “né il y a qua­rante ans et mort à la dis­pa­ri­tion de son père”. Aujourd’hui il “n’a pas qua­rante ans mais huit ans + trente deux” tant il est obnu­bilé par cette dis­pa­ri­tion.
Il aurait du naître “là-bas” mais il est né “ici”. Il invente alors le pays de son père : Mada­gas­car. L’île résonne dans sa tête, le père marche dans sa tête au milieu des pays qu’il ne connaît pas mais qui est le plus proche de lui. Fils de l’exilé, il en devient le père dans une belle tor­sion de son plus grand secret : “fan­tôme de qui ? Enfant de qui ? De quel adulte est-il l’enfance, de quel esprit est-il le corps ?”.

Certes, il n’est pas né à huit ans, mais ces huit années le hantent. Né le jour de la mort de son père, il doit retrou­ver ses racines, les siennes et celles de sa petite sœur et de son petit frère. Il doit faire par­ler le temps muet dans un voyage spa­tial au sein de ce qui a ravagé ses nuits et les a fait pleu­rer.
Celui qui est devenu de par­tout et de nul part doit retrou­ver “sa” terre qu’il n’a pas connue. “Ce sont ces mondes là qu’il me faut racon­ter. Mon his­toire en quelque sorte. Celle que je me suis raconté” écrit For­geau. Et plus loin : “Pour cela il me faut naître (renaître ?), venir (reve­nir?) au monde”.

L’auteur écrit entre deux êtres : l’enfant mort qu’il fut, l’adulte qu’il est devenu. Et entre les deux, la figure pater­nelle “qui me res­semble et marche dans le bleu” et ce au moment où tout est blanc “à cause de l’image du doute”. C’est là où ce beau texte nous mène. Et au delà. Là où il existe des anges, une musique du silence sur des zones de tur­bu­lences.
Le petit gar­çon et l’adulte se conjuguent dans une inter­ro­ga­tion vis­cé­rale, pri­mi­tive jusqu’à l’interrogation finale au moment où sa mère dort enfin après des années d’insomnie : “Au fait, à quel âge ça meurt déjà les papas ?”. Peut-être qu’au sein de l’absence ils ne meurent jamais.

jean-paul gavard-perret

Filip For­geau,
– Jour­nal du pays où je ne suis pas né
, Edi­tions Incipt en W, Mira­mas, 2017, 90 p. -  16, 50 €.
- Rosa Liberté, Théâtre, edi­tions Les cygnes, 2017, 60 p. — 10,00 € .

 

 

 

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Romans

One Response to Filip Forgeau, Journal du pays où je ne suis pas né & Rosa Liberté

  1. Forgeau Filip

    Cher Jean-Paul Gavard-Perret,

    Je suis très tou­ché par la chro­nique que vous avez publiée à pro­pos de mon récit “Jour­nal du pays où je ne suis pas né”.

    Avec mes remer­cie­ments,
    Bien à vous,
    Filip Forgeau

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>