« - Que ressentez-vous lorsque vous êtes là haut ?
- Je voudrais ne jamais redescendre. »
Ces deux lignes de dialogue, réel ou inventé par la plume féconde d’Agnès Clancier, illustrent parfaitement la vie et le caractère de Maryse Bastié qui fut une des premières aviatrices françaises. En cette qualité, elle réalisa quelques exploits mémorables comme le record de distance entre Le Bourget et l’URSS (1931) ou la traversée de l’Atlantique Sud, de Dakar à Natal au Brésil (1936). Une trace dans le ciel débute en 1944, lorsque Maryse Bastié est arrêtée par la Gestapo.
L’aviatrice est une femme libre qui a toujours été maîtresse de son destin, fût-ce au péril de sa vie. Mais là, pour la première fois, elle qui a couru tant de dangers, si souvent vu la mort de près et dont la volonté n’a pas de limite, n’est plus en mesure de décider de son sort. Va-t-elle être torturée ? « Est-ce que le 21 mars 1944 va être le jour de ma mort ? ».
Alors, enfermée, grâce à un subtil fondu enchaîné elle se remémore toute sa vie qui a compté tant d’instants exaltants et tant de moments douloureux. « La cellule a fondu dans la nuit. Dissoute. Elle est maintenant dans la chambre de son père ». Orpheline à 10 ans d’un père qu’elle chérissait, elle a ensuite perdu son frère aîné et son cousin le plus proche, tous deux morts, parmi tellement d’autres, pendant la guerre de 14–18. Mais la grande affaire de sa vie c’est l’aviation. Mariée, puis divorcée très jeune d’un peintre, artiste mais volage, elle est devenue la marraine de guerre d’un aviateur. La paix revenue, elle se remarie avec lui. Il devient moniteur d’aviation. D’abord réticent, il se laisse persuader (Maryse est une femme convaincante que rien n’arrête lorsqu’elle a une idée en tête) et elle apprend à piloter. Une autre vie commence pour elle.
Les exploits et les records s’enchaînent. Le premier exploit est d’avoir de quoi vivre. « Il faut nourrir l’engin, l’entretenir, le faire voler, le garer. » Piloter coûte cher, est dangereux et ne rapporte pas grand-chose, à part un cercueil quand on a la chance de se pas s’écraser en mer. Louis, son second mari, se tue dans un accident aérien. C’est le sort de la plupart des pilotes de cette époque. « Pour nous, l’accident ce serait de mourir dans un lit », répétait Mermoz.
A plusieurs reprises, Maryse bat le record du monde de durée en vol (près de 38 heures d’affilée en 1930). 37 heures 55 dans une position inconfortable, sans dormir, avec un bruit assourdissant ! Un record qui n’a jamais été battu depuis alors que les appareils modernes sont tellement plus confortables. Car en 1930 « passer la nuit à bord d’un avion est terrifiant. Il faut accepter de n’être plus qu’un misérable corps de chair et de sang fonçant dans l’obscurité, enfermé dans une dérisoire armure de métal, à peine éclairé par le halo blême des appareils de bord. Tout autour, la nuit immense et vide. La mort peut-être ».
Si la mort est la compagne familière des aviateurs dans les années 20 et 30, que dire lorsque Germain, le fils né de son premier mariage « ce bébé sorti d’elle quand elle-même n’était encore qu’une enfant » meurt de la typhoïde ? Elle voit ses amies et amis (Hélène Boucher, Maryse Hilsz, Mermoz, Drouhin, Guillaumet…) se tuer en avion ou mourir comme Léna Bernstein qui, endettée et assignée à résidence à Biskra, donc interdite de vol, préfère se suicider au champagne et au gardénal dans le désert algérien.
La guerre de 40 venue, elle vit l’humiliation de la présence nazie quand d’autres s’en accommodent. A une de ses voisine lectrice du journal Au Pilori où elle est critiquée pour avoir donné une cigarette à un Anglais hospitalisé, elle lance « vous ne devriez pas lire ce torchon (…) il est à la solde des Allemands. (…) – Et alors ? (…) ils ne mangent pas les enfants. J’en ai croisé un, ce matin, à la boulangerie, il était bien poli, plus que beaucoup de Français. »
Puis la libération, avec son lot d’exécutions sommaires et de femmes tondues insultées par les badauds. « Ils se vengent sur elles d’avoir perdu la guerre en 1940 ». A la fin des années 40, Maryse Bastié, qui a toujours lutté pour l’égalité entre les femmes et les hommes, découvre qu’elle est plus célèbre qu’Irène Jolliot-Curie, Colette, Greta Garbo ou Eleanor Roosevelt.
Parmi les mérites d’Agnès Clancier dont le livre tient en haleine du début jusqu’à la fin (ce n’est pas si fréquent !), et dont les dernières pages, poignantes, aussi littéraires que cinématographiques, suscitent une émotion rare, le moindre n’est pas d’avoir parfaitement saisi la personnalité hors norme de Maryse Bastié. Car ce n’est pas seulement une héroïne de l’aviation, c’est avant tout une héroïne tout court, qui, sous couvert d’œuvrer pour la Croix rouge, renseigne aussi la résistance.
Une femme qui se bat et ne renonce jamais : sans doute un trait de caractère commun à Maryse Bastié et à Agnès Clancier qui n’a pas choisi au hasard le personnage principal de son dernier roman. De la vie d’une femme exceptionnelle, Agnès Clancier a tiré un roman exceptionnel. Si la première a laissé une trace dans le ciel, nul doute que la seconde laissera une trace dans la littérature.
fabrice del dingo
Agnès Clancier, Une trace dans le ciel, Editions Arléa, 2017, 227 p. — 20,00 €.
Une trace dans le ciel est le cinquième roman d’Agnès Clancier qui est également l’auteur d’un récit : Karina Sokolova (2014 Arléa). Elle vient de publier un recueil de poèmes Outback, disent-ils (éditions Henry). Comme l’Apollon de Giraudoux, elle est née à Bellac. Elle habite à Paris après avoir vécu à Sydney et au Burkina Faso.