Jean-Baptiste est un parfait irrégulier de l’art (“brut”). Sa manière de créer (et de parler) ouvre des abîmes et brouille les frontières admises. En jaillissent des amalgames en séries de secondes et de tierces ; de puzzles et circus. Chaque œuvre devient comme une gerbe de formes qui entrent dans la catégorie des objets de relation — ce qui suppose paradoxalement une distance. Ce qui semble proche de la pratique quotidienne est inclus comme intrus. L’œuvre demeure donc une énigme, elle coïncide exactement en un point où le dessin « sans vie » laisse apparaître le projet existentiel.
Instrument de l’idée et de l’émotion et dans son beau bordel, il est toujours habité d’une folie ou plutôt d’une force contagieuse.
JB Hanak, Vision Negative, Galerie Anne de Villepoix, Paris, du 20 mai au 24 juin 2017.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Atteint d’affreux troubles du sommeil, les deux choses que je hais le plus dans la vie sont : m’endormir et me réveiller. Raisons pour lesquelles je suis hanté par l’angoisse et le désespoir au coucher, puis, possédé par la haine et la fatigue au réveil.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Des cauchemars d’adulte.
A quoi avez-vous renoncé ?
Au Salut de l’Âme Humaine ; ce, depuis ma plus tendre enfance.
D’où venez-vous ?
Je suis un produit de la banlieue parisienne. Je viens de Maisons-Alfort, Val de Marne. On y trouve l’Ecole Vétérinaire. Avant les inondations de 1901 cette ville possédait une île répondant au nom de « L’île d’Enfer » ou « L’île du Diable ».
Il s’agit de la ville dans laquelle s’est exilé au 18eme siècle Honoré Fragonard, grand anatomiste français mais également artiste plasticien visionnaire. Après des dizaines d’années de pratique en médecine, cet homme a terminé sa vie en créant d’impressionnantes mises en scènes spartiates à partir de sculptures faites de cadavres humains. Encore aujourd’hui, le mystère de ses techniques de conservation n’a pas encore été totalement élucidé et surpasse de très loin les techniques de mausolées recensées (Lénine, Kim Il Sung, Mao Zedong, les Pharaons d’Egypte…).
Originaire de la ville de Grasse, il s’agit du cousin direct de Jean-Honoré Fragonard, célèbre peintre né le même jour qu’Honoré. L’église catholique a durant longtemps accusé le caractère immoral et anti-religieux de l’oeuvre de ces deux hommes en leur époque : l’un pratiquant ce qu’on assimilait à de la profanation de cadavres, l’autre ayant passé sa vie à peindre des scènes de partouzes. Il y avait là quelque chose vu comme « diabolique ».
Ainsi, pour en revenir à votre question : le vendredi 13 septembre 2013 fut la date de mon intronisation officielle au sein du groupe de Heavy-Metal français répondant au nom de Cobra. C’est un groupe formé en 1984, dont tous les membres sont originaires de Grasse ; raison pour laquelle mon intronisation répond à la logique du tellurisme, ainsi qu’au dessin d’un axe géographique que certain interpréteront – à raison – au travers du prisme de la mystique.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Le support inconditionnel de mes parents, qui me fut à bien des égards largement plus précieux que de l’argent ou des relations dans quelconque milieu artistique.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
L’espoir de vivre vieux.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Junk-Food : gluten, acides gras saturés, huile de palme, les machins de chez Monsanto et Coca-Cola…
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Méfions nous des généralités et tentons de tirer dans le plus clair du tas. Je constate une différence avec la majorité des artistes de mon entourage. Ils passent le plus clair de leur temps à raconter des conneries et tentent de les faire passer pour matière intellectuelle. Pour ma part, je m’emploie à raconter des conneries de manière assumée, avec la volonté revendiquée de passer pour un con. J’adore ça, vraiment. Beaucoup de gens vous diront « les artistes c’est des cons » ; en ce qui me concerne, je me prélasse dans ce préjugé comme un gros cochon se vautrant dans un bain de boue.
Comment définiriez-vous votre prochaine « vision negative » ?
Elle arrive à grands pas. Pour « Vision Negative », la soirée de vernissage aura lieu le 20 mai. Par ailleurs, l’exposition se tiendra jusqu’au 24 juin. Je suis incroyablement fier de réaliser cette expo à la Galerie Anne de Villepoix.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
J’avais 14 ans et je travaillais sur des chantiers pour me faire de l’argent de poche. Mes parents avait une petite PME de démolition industrielle ; j’ai mis des années avant de comprendre à quel point ce corps de métier a eu un impact incommensurable sur ma création – tant musicale que plastique.
Le travail consistait au désossage de machines diverses pour, ensuite, effectuer un tri des matériaux afin d’aller – en dernier lieu – les vendre au poids pour le recyclage. Durant l’été 91, je me retrouve avec mon oncle Saïd dans une entreprise de rachat de matières. Il s’agit d’un oncle qui a toujours pratiqué dans plusieurs disciplines artistiques ; et qui nous a éveillés au sens critique – mes frères, ma sœur et moi même – dès le plus jeune âge (mes parents sont ouvriers, leur quatre enfants sont artistes). Concernant ce travail de chantier : une fois les métaux vendus, nous terminions le travail en déposant toutes les « matières négligeables » dans une décharge à ciel ouvert réservée aux matières non recyclables. Il s’agissait d’une immense montagne de merde.
Soudain, au beau milieu de cette montagne, mon oncle pointe du doigt une impressionnante sculpture d’Art Contemporain. Elle était faite d’immenses pierres transpercées par d’innombrables tiges métalliques. Il me dit alors : « Jb, dis moi, à quoi ça te fait penser ce truc ? » Après avoir bien analysé l’objet, je lui réponds sans certitude : « Bah, c’est de la merde ? » D’un ton plus autoritaire, mon oncle me rétorque : « Je ne te demande pas ce que c’est, je te demande à quoi ça te fait penser. » Après un long silence, je lui ai répondu, honteusement : « Je ne sais pas. » La conclusion de mon oncle Saïd visait à mon enseignement et peut ici me permettre de répondre à votre question : « Si tu analyses bien cette sculpture, tu pourras comprendre qu’elle représente des jours et des jours de travail. La personne qui a réalisé ce truc s’est noyée dans un travail technique interminable, ça se voit. Et pourtant, c’est tellement foiré que ça termine à la décharge publique. En Art, le travail et la technique, c’est nécessaire, mais si il n’y a que ça, on ne fait que des conneries qui terminent à la poubelle. »
Et donc, ce jour d’été 1991, les pieds dans la merde, entouré de les poubelles, j’ai fixé cet objet durant de longues minutes – à ressentir quelque chose que je ne comprenais pas encore. J’étais en train de vivre ma première épiphanie. La vraie révélation artistique. Une sorte de Syndrome de Stendhal à contempler de la merde. C’était émouvant. J’ai commencé la peinture et la musique quelques jours plus tard.
Et votre première lecture ?
« Le Petit Prince » de Antoine de Saint-Exupéry. C’était avant de savoir lire, on m’en a fait la lecture. Il fait partie du très peu de livres vers lesquels je me tourne lorsque je retombe en dépression nerveuse. A chaque relecture, je reprend espoir dans l’idée que tristesse et bonheur sont faits pour cohabiter.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’en écoute beaucoup trop. Je suis musicien, joue dans plusieurs projets : dDamage, duo de musique électronique avec mon frère Frédéric Hanak. Cobra, groupe de heavy metal Grassois, Sleaze Art, aux côtés du compositeur français Kasper T. Toeplitz, dDash, mon projet de rock en solo. Parfois, je suis guitariste pour Pierre Richard : “Le grand blond avec une chaussure noire”. J’ai par ailleurs fait beaucoup de musiques de films ou de documentaires, travaillé avec ma sœur Emilie Hanak et mon petit frère Cédric Hanak. Et j’en oublie. Pardonnez moi pour cet étalage de CV. C’est tout simplement pour vous faire comprendre que, lorsque suis dans mon atelier à faire de la peinture, j’aime le silence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je relis « Le Petit Prince » à peu près tous les 5 ans. D’ailleurs, à ce sujet : à Lyon il y a un aéroport qu’on a baptisé « Saint-Exupéry » alors que cet homme est mort dans un crash aérien. On arrive à l’extrême du paradoxe sur la tristesse et le bonheur que je vous expliquais plus haut, non ?
Quel film vous fait pleurer ?
“Rabbi Jacob”. Je l’ai vu presque cent fois. Et à chaque fois c’est la même chose : à la fin du film, quand Slimane et Salomon se serrent la main en souriant, j’éclate en sanglots.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Celui que j’ai réussi à ne pas devenir ; et c’est tant mieux.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ce courrier fut écrit, mais je n’ai jamais osé le remettre à sa destinataire. Il s’agit de ma première lettre ; et c’est une histoire d’Amour. Quand j’avais 5 ans, je ne savais ni lire ni écrire. Néanmoins, il m’était possible de “déchiffrer” les mots écrits en majuscules.
Un jour d’été, dans des cabines de toilettes publiques, mon attention fut interpellée par un graffiti gribouillé au mur : celui-ci représentait une verge en érection, accompagnée d’une légende. J’ai toujours été fasciné par les graffitis de vandalisme, qui m’ont toujours beaucoup plus parlé que toute forme de “Street-Art”. Du coup, il m’a fallu presque cinq minutes pour déchiffrer la didascalie de ce sexe turgescent : « Me… Meuh… Mère… » Après une lecture extrêmement laborieuse, j’en arrive à prononcer à voix haute « Merde à celui qui le lira » pour – quelques secondes plus tard – comprendre le piège infernal dans lequel j’étais tombé.
Fou de rage, cette histoire m’a hanté des jours durant ; et j’ai finalement réussi à trouver un stratagème de revanche sur mon agresseur anonyme. Comme on dit « Porter plainte contre X » – de la haine à l’amour il n’y a qu’un pas, c’est bien pour cela qu’on parle de « Film X ». A la hâte, je suis rentré à la maison pour m’enfermer dans ma chambre. Après m’être emparé du matériel nécessaire, j’ai écrit « Merde à celui qui le lira » en immenses lettres majuscules sur une feuille que j’ai ensuite soigneusement pliée en quatre. Outre le mimétisme (dans le but de renverser mon agression et jeter le sort sur une tierce personne), mon idée était de m’emparer du stratagème en l’améliorant. J’ai donc glissé la feuille dans une enveloppe que j’ai soigneusement fermée pour ensuite y dessiner un magnifique cœur de Cupidon. Ma victime était toute trouvée : il s’agissait de notre voisine de palier, la maman d’un de mes camarades. J’étais secrètement amoureux d’elle et maudissait de toute mon âme ce sentiment malpropre. C’est à cet instant que ma mère est entrée dans ma chambre. Elle m’a examiné, du haut de mes cinq ans, cette enveloppe de Saint-Valentin dans les mains et le regard embarrassé par une intrusion inattendue dans mon processus criminel. Elle s’est alors éprise de joie : « Ooooh ! Jean-Baptiste, tu es tellement mignon ! Tu m’as écrit une lettre d’amour ! ». Les larmes me montaient aux yeux à mesure de sentir l’abominable piège se refermant une seconde fois sur moi. Cependant, cette fois-ci, il était par ma faute démesurément plus destructeur.
Il m’était impossible de lui faire lire. J’ai donc mangé la lettre en regardant ma mère avec des yeux remplis de haine et de larmes, hoquetant de sanglots ; mon nez en déversoir à morve. Ma mère a eu peur, elle ne comprenait pas. Personne ne pouvait me comprendre à cet instant : il s’agissait de ma première prise de conscience de l’extrême complexité inhérente au sentiment amoureux. La première femme que j’ai convoitée n’a jamais eu vent de mes sentiments, donc.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
A ce que j’en sais, l’Atlantide est un mythe.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
La femme avec qui je partage ma vie. C’est une artiste incroyable et nous sommes extrêmement proches.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une maison en or et une voiture fusée !
Que défendez-vous ?
Par esprit de contradiction, j’ai toujours aimé défendre l’indéfendable. Pour ce, j’ai une admiration sans bornes pour Patrick Sébastien : un homme capable de défendre Dieudonné pour ensuite apporter son support à Cyril Hanouna. C’est beau.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je trouve ça super cool et j’en pense strictement la même chose que n’importe quelle autre phrase de Lacan : ce mec incarne à mes yeux une fusion Dragon Ball Z parfaite entre Freud et un anonyme rédacteur de blagues Carambar.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
C’est vraiment pas sympa de me poser cette question en dernier. Si ça avait été la première, j’aurais utilisé cette citation comme réponse à toutes vos questions.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
“La réponse est oui mais quelle était la question ?”
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 15 mai 2017.
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