Maria Galina, L’Organisation

Ironie mor­dante, absurde et poé­sie à la russe

Les toutes jeunes Édi­tions Agullo, crées en 2016 et dont j’ai déjà recensé le très beau Refuge 3/9  ici, conti­nuent sur leur lan­cée de décou­verte et tra­duc­tion d’auteurs russes. En effet, grâce à L’Organisation, le lec­teur fran­çais fait connais­sance avec l’univers fan­tasque de Maria Galina. Et encore une fois, c’est une réus­site.
Alors que l’Union Sovié­tique se pré­pare à rece­voir les J.O de Mos­cou (1980), Rosa, jeune étu­diante maus­sade et vague­ment bor­née, est embau­chée au SSE-2, un orga­nisme censé contrô­ler les navires entrant au port de la ville méri­dio­nale où elle habite (le lec­teur averti recon­naî­tra Odessa, bien que son nom ne soit jamais cité). Pro­gres­si­ve­ment, alors que des corps atro­ce­ment muti­lés sont retrou­vés dans la ville, Rosa va se rendre compte que le SSE-2 a une fonc­tion tout autre, à savoir tra­quer les créa­tures sur­na­tu­relles sus­cep­tibles de para­si­ter l’Union Sovié­tique. Eux-mêmes sous la pres­sion d’une hié­rar­chie qui craint les repré­sailles de Mos­cou, Elena Petricht­chenko, la supé­rieure de Rosa, et Vas­sili, son pro­tégé, cherchent par tous les moyens à iden­ti­fier puis à anéan­tir l’être malé­fique res­pon­sable des crimes.

L’ une des nom­breuses qua­li­tés de ce roman tient dans la vigueur de ses dia­logues qui per­mettent de cam­per des per­son­nages com­plexes quoique sou­vent pris au dépourvu et dépas­sés par les évé­ne­ments. Une prime toute spé­ciale au tru­cu­lent Vas­sili, tou­jours en train de jouer au chat et à la sou­ris avec Rosa, à qui, sous cou­vert de la cour­ti­ser, il n’hésite jamais à sou­ti­rer quelques kopeks. D’où des scènes à la fois cocasses et par­fois cruelles qui dépeignent le tableau d’existences médiocres, dont les seules pers­pec­tives d’accomplissement se voient anni­hi­lées aussi vite qu’elles sont appa­rues.
Mais ce dis­po­si­tif ne vise pas seule­ment à une pein­ture du quo­ti­dien, il met en lumière l’incurie du sys­tème sovié­tique (de tout sys­tème éta­tique ?) dont les repré­sen­tants affichent un mélange de lâcheté, d’incompétence et de véna­lité. Les héros de L’Organisation, autre­ment dit les employés du SSE-2, sont bien seuls pour sau­ver leur pays face à l’ineptie et aux caprices des poli­tiques. Ce que Maria Galina écrit de l’Union Sovié­tique des années 80 trouve une curieuse réson­nance avec l’état actuel de la société fran­çaise, non ?

Au lec­teur d’en juger mais, quoi qu’il en soit, il ne regret­tera pas cette lec­ture réjouis­sante où le sens de l’absurde et le mor­dant de l’ironie n’empêchent pas une poé­sie pleine de sensibilité.

agathe de lastyns

Maria Galina, L’Organisation, Agullo Édi­tions, mars 2017, 367 p – 22,00 €

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