Nous rendons régulièrement compte des livres portant sur les guerres de Vendée, objet d’un débat historiographique et politique majeur depuis plusieurs décennies. La querelle des historiens tourne aujourd’hui autour de la question du génocide perpétré par la Convention, nié par les uns, affirmé par les autres. Le débat rebondit avec la publication de l’étude du juriste Jacques Villemain qui verse des pièces capitales au dossier. Ecrite avec clarté et sans jargon juridique, fondée sur une lecture minutieuse des différents travaux historiques, cette analyse constitue un réel tournant.
L’auteur n’hésite pas à désigner les lacunes du travail des historiens, emprisonnés dans leur démarche comparative, à la fois juges et parties, et qui ignorent la définition juridique d’un génocide quand ils ne s’en moquent pas purement et simplement. Or, pour un juge « chaque fait criminel est considéré comme unique pour lui-même et confronté non pas à un autre fait criminel mais à la norme juridique ».
Ainsi fonde-t-il toute sa réflexion sur le Droit et la jurisprudence élaborés depuis 1945 et précisés par les tribunaux sur les crimes en Yougoslavie et au Rwanda notamment. La définition officielle d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité et d’un génocide lui permet de tirer des conclusions très nettes. Oui, il y a eu d’innombrables crimes de guerre en Vendée organisés grâce à la loi du 19 mars 1793 qui met hors-la-loi (et de l’humanité) les Vendéens et qui autorise contre eux toutes les actions jusqu’aux massacres des prisonniers ou des blessés dans les hôpitaux et les pires perfidies dans les combats menés contre eux.
Oui, il y a eu crime contre l’humanité, c’est-à-dire « une attaque généralisée ou systématique contre toute une population civile » faite de meurtres, de viols, de tortures, de déportations, organisée par les lois du 1er août et du 1er octobre 1793. Jacques Villemain affirme même que les Vendéens existaient bel et bien en tant que groupe social (des paysans) et religieux (catholiques réfractaires). C’est un point crucial contre ceux qui nient le génocide en arguant de l’inexistence d’un « peuple » vendéen. De toute façon, rapporte-t-il, « la seule chose qui importe en matière de génocide est moins ce que l’on est que ce que le génocideur croit qu’on est. »
Car il y a bien eu génocide. Pour l’auteur, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Toute l’action répressive menée, au moins à partir de janvier 1794, si ce n’est l’automne 1793, en porte la marque. Les textes de Turreau, de Lequinio ou de Carrier établissent juridiquement la nature de leurs crimes. Villemain explique dans des pages lumineuses qu’en matière de Droit la façon dont on tue les victimes ne compte pas pour définir un génocide (gaz, machette, poison, famine), pas plus que le nombre de morts ou le fait de catégoriser les victimes (les hommes seuls ciblés) ou l’absence d’idéologie (d’autant qu’il en existe une à l’œuvre en Vendée, celle de la régénération de l’humanité).
Rien que le massacre des Lucs-sur-Boulogne suffirait à qualifier l’entreprise de Turreau de génocide. La comparaison avec la Shoah n’a, argumente Jacques Villemain, aucune valeur car dans ce cas il aurait été impossible de qualifier de génocide les crimes au Rwanda ou à Srebrenica.
L’auteur dresse ensuite un réquisitoire précis contre trois acteurs majeurs du génocide : Turreau à la tête d’une chaîne de commandement implacable mais couvert par le Comité de Salut Public ; Carrier, tout sauf fou ; et Robespierre, l’idole de la gauche, qui ne laisse aucune trace de ses ordres mais qui domine le tout-puissant Comité dont les décisions étaient collégiales, ce qui rend tous ses membres responsables. Les « petits bouts de papier » trouvés par Reynald Secher constituent bien des ordres d’extermination, même si Jacques Villemain reste prudent pour la période précédant janvier 1794.
Ce livre est donc fondamental. Il apporte la pièce manquante au dossier vendéen, celle du Droit. Désormais, plus aucun doute n’est permis. Un crime de génocide a bien été perpétré contre les Vendéens.
frederic le moal
Jacques Villemain, Vendée, 1793–1794. Crime de guerre ? Crime contre l’humanité ? Génocide ? Une étude juridique, Les éditions du Cerf, février 2017, 305 p. — 24,00 €.
Bonjour,
lorsque je lis une affirmation telle que “Désormais, plus aucun doute n’est permis” affirmée à partir de la lecture d’un travail de seconde main (un diplomate présenté comme un juriste et qui plaque quelques concepts juridiques sur une histoire mal assimilée me semble à coup sûr remarquable de ce point de vue), je sais à quel type de “critique” j’ai à faire. A savoir ou bien un incompétent, un menteur ou un idéologue. Je met une pièce sur le troisième. Monsieur Le Moal, s’il souhaite informer et établir la situation scientifique d’un débat devrait au moins s’informer des dernières publications et présenter un avis moins tranché. Particulièrement après qu’il ai lui-même critiqué le livre de Mme Anne Rolland-Boulestreau (http://www.lelitteraire.com/?p=16199). En effet, même si M. Le Moal reste confondu que celle qui a étudié de 1ère main ne reconnaisse pas l’existence d’un crime contre l’humanité (sans même parler de génocide), M. Le Moal ne peut plus faire comme si il ignorait qu’en 2015 un livre sérieux d’une historienne sérieuse (ainsi que M. Le Moal le reconnaît) posait un avis radicalement opposé à celui d’un auteur de seconde main. Mais Mme Rolland-Boulestreau, dés le début de son livre rejette toutes les belles explications téléologiques auxquelles se raccrochent avec désespoir les idéologues pour qui l’histoire doit être la démonstration de leurs croyances. Suivre ces recommandations de prudence, éviterait l’aveuglement qui les conduit à préférer croire contre toute évidence à un débat tranché alors même qu’ils ont connaissance du fait que ce n’est pas le cas. A titre personnel, je crois qu’il y a eu en Vendée un crime contre l’humanité et qu’à l’évidence il ne s’agit pas d’un génocide. Mais c’est une simple croyance, basée sur quelques lectures (et d’ailleurs moi aussi je suis “juriste” puisque cela semble donner une crédibilité afin d’employer un terme pourtant plus politique que juridique) et je doute fort que de mon vivant une étude définitive vienne trancher le débat (même si je vois bien que dans la communauté des historiens de la Révolution la thèse du génocide est à l’évidence peu défendue).
Merci Monsieur Le Moal. Votre résumé traduit excellemment l’approche et le contenu du livre.
Par contre, pour être crédible, le commentaire négationniste de Chapolisa devrait être basé sur un argumentaire qui met en parallèle les faits historiques et la jurisprudence en la matière (Cf. Rwanda…). Rien, Le vide, son argumentaire est vide, car Chapolisa ne connait sans doute pas les faits. Seule une volonté idéologique pousse ce monsieur à essayer de contredire Monsieur Villemain.
Je vous conseille de lire le livre de Jacques Villemain pour faire votre propre idée.
C’est le même que le Piemonte/nouveau état italien a fait contre la population du Royaume de Deux Sicilie. Aussi en Italie c’est argument est tabu. La différence entre le cas du Sud de l’Italie et la Vendée sont les proportions (majeures en Italie) sans considérer la politique d’émigration forcée et la création d’un système social, culturel et économique de type colonial qui en France actuellement n’existe pas dans son propre territoire, de l’état contre une partie de sa population ( c’est le cas du Sur de l’Italie).
Bonjour,
La tournure que prend ce débat depuis que les révélations sur le génocide vendéen ont pris une nouvelle dimension, paradoxalement grâce aux recherches publiées lors du bicentenaire de la révolution française, fait penser aux batailles contemporaines relatives au génocide des Tutsi du Rwanda. Rien n’est neuf dans les petites passions plus ou moins haineuses des protagonistes. Ici, on peut lire un correspondant anonyme qui se permet de critiquer un chercheur parce qu’il est à la fois diplomate et juriste. Alors que lui cache son identité, qui pourrait (ou non) pourtant nous éclaircir sur sa légitimité à porter des jugements péremptoires sur cette partie de l’histoire et sur l’auteur de cet ouvrage de 678 pages dûment enrichies de précisions difficiles à contester. Il a fallu deux siècles pour qu’enfin, malgré l’ignoble décence intellectuelle des militants du (des) terrorisme(s) révolutionnaire(s), ceux-ci soient mis — bien pacifiquement — en face des responsabilités que leur mémoire est bien obligée de colporter, même en silence. Évidemment cela fait mal, ce qui explique la pauvreté de leurs arguments et la richesse de leurs agitations. B.C.