En Vendée, on tue tout le monde mais ce n’est pas un génocide
On ne peut que se féliciter de la publication d’un ouvrage spécifiquement consacré aux colonnes infernales, ces groupes de soldats qui massacrèrent la population vendéenne, sans aucune distinction de sexe ou d’âge en 1794–1795 alors que la guerre était gagnée sur le terrain par l’armée républicaine. Le livre d’Anne Rolland-Boulestreau apporte une multitude d’informations puisées dans les archives militaires. En ne limitant pas ses analyses à la question des massacres – sur laquelle nous allons revenir –, elle donne une hauteur de vue à son travail tout à fait remarquable. Et c’est en utilisant les concepts les plus récents de l’historiographie militaire qu’elle tente de comprendre ce qui a bien pu se passer en Vendée pendant ces mois terribles.
Avant d’être des massacreurs d’enfants et de femmes enceintes, les soldats des colonnes sont aussi des militaires qui connaissent une expérience combattante éprouvante. On veut bien croire l’auteur sur ce point. Ils avancent en effet dans un pays inconnu, tenu par les paysans en armes, des « guérilleros » avant l’heure cachés dans le bocage. Leurs ennemis provoquent chez les Bleus une panique profonde qui les oblige à rester sur les routes principales et à ne pénétrer à l’intérieur du pays qu’avec prudence. Souffrant d’une météo difficile, les colonnes subissent aussi les affres d’une logistique déficiente, d’un réseau de communication hasardeux et en un mot d’une « insécurité permanente ».
Ensuite, l’étude de la carrière des généraux démontre qu’ils sont issus pour la plupart des couches aisées de l’Ancien Régime. Pas de frustrés sociaux ou d’anciens clochards. Rien d’étonnant d’ailleurs à cela. Pas besoin de sortir des égouts pour massacrer une population. Il suffit, comme le note l’auteur, de partager un même « engagement républicain ». Un autre aspect bien mis en relief concerne les divisions entre les généraux, leurs rivalités, leurs haines, etc. La thèse centrale de l’auteur repose sur sa conviction que les opérations des colonnes reposent sur « beaucoup d’improvisation et d’impéritie ».
Venons-en à la question des tueries et à leur qualification. L’auteur, loin de toute complaisance ou mansuétude pour les bourreaux, fait une description absolument limpide, claire, serrée et convaincante de leur état d’esprit. Non seulement le soulèvement est criminalisé par l’ensemble des « échelons politiques et militaires », mais les Vendéens, exclus de l’humanité, sont animalisés, ramenés au rang « d’insectes nuisibles et vecteurs de maladie ». Les métaphores médicales pullulent dans la bouche et les écrits des généraux, la plus fréquente étant celle de la rage. Or, que faisait-on aux animaux domestiques enragés ? On les brûlait… Comme les paysans dans leurs fermes…
La démonstration d’Anne Rolland-Boulestreau est implacable. Il s’agit bien d’éradiquer la Vendée, de supprimer des êtres humains qui n’en sont plus, la province étant ramenée à une sorte de terrain de chasse. Quand les colonnes tuent TOUTES les personnes rencontrées sur les chemins, même les paysans affairés dans les champs, elles procèdent… à une battue ! On en arrive donc à la conclusion de ce rigoureux travail. Et là, on découvre que l’auteur, s’appuyant sur la définition de Raphaël Lemkin, refuse avec véhémence le terme de génocide et qualifie les tueries minutieusement écrites de… simple massacre. Le caractère génocidaire des guerres de Vendée est certes un concept très débattu et rien bien évidemment n’oblige l’auteure à l’accepter. Mais on reste confondu qu’après une description et une compréhension aussi nettes de la dynamique meurtrière à l’œuvre, elle n’évoque même pas la possibilité d’un crime contre l’humanité.
L’étude sur le terrain des colonnes ne doit pas dispenser de celle des ordres. Or, d’une part le vocabulaire des militaires fait bien écho à celui des politiques. « Qu’on ne vienne pas nous parler d’humanité, […] ils seront tous exterminés », « Purgeons, purgeons à jamais le pays de cette race infâme » hurle Barère à la Convention. Le mot exterminer n’aurait-il pas le même sens à Paris en 1793 qu’à Berlin en 1941 ? D’autre part, Anne Rolland-Boulestreau repousse, avec un brin de mépris, les travaux pionniers de Reynald Sécher dont on peut certes refuser les conclusions mais pas la qualité du travail archivistique. Il apporte d’ailleurs dans son dernier ouvrage, Vendée du génocide au mémoricide, de nouvelles preuves des ordres du sinistre Comité de Salut Public. Oui c’est vrai, le peuple vendéen n’existe pas. Mais ce sont les révolutionnaires qui ont fait des insurgés, de leurs femmes aux odeurs animales, de leurs enfants contaminés et finalement de tous les habitants un groupe à éliminer.
En fin de compte, les républicains (héritiers des Lumières, faut-il le rappeler) ont voulu réaliser une utopie sur la terre et ne pouvaient admettre qu’un seul être humain les en empêche. Ils se croyaient purs et voulaient que les autres le soient. Ils ont donc éradiqué ceux qui ne l’étaient pas à leurs yeux. Cela ne vous rappelle rien ? Le livre d’Anne Rolland-Boulestreau comptera désormais dans le débat toujours ouvert sur la Vendée. Il l’alimentera et on ne peut que s’en féliciter.
Lire aussi notre critique de : Reynald Secher, Vendée — Du génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal contre l’humanité (Le Cerf, octobre 2011)
frederic le moal
Anne Rolland-Boulestreau, Les colonnes infernales. Violences et guerre civile en Vendée militaire (1794–1795), Fayard, mai 2015, 335 p. — 21.50 €