Avec Anne Slacik, la peinture devient émulsive. Tout semble en suspens en ce qui devient passage, traversée vers l’inconnu. Le mouvant rayonne à partir de pointes diffuses. Elles deviennent dans leur vitesse d’exécution et leur dynamisme un moment nucléaire en équilibre fragile mais intense dans l’espace du support. Chaque tableau est donc constitué d’une unité de saturation a priori imperceptible entre glissement, mixage et tensions des pigments travaillés et délayés.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le ciel bleu et le soleil.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ma vie ressemble plus à mes rêves aujourd’hui qu’autrefois.
A quoi avez-vous renoncé ?
Je suis assez têtue je ne crois pas avoir renoncé à grand chose.
D’où venez-vous ?
D’une petite ville de province, je n’ai vu mes premiers tableaux en vrai en Italie qu’à 20 ans , j’avais un sacré retard à rattraper.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
De l’énergie et c’est tout mais j’ai rencontré de belles personnes.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Du chocolat , une cigarette dans l’atelier au travail et l’atelier chaque jour.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas.
Comment définiriez-vous votre approche de l’abstraction ?
L’incapacité de mettre un grand nombre de couleurs sur une toile, resserrer les choses et la grande fluidité comme l’eau du canal devant mes yeux, dans l’atelier.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
J’ai oublié.
Et votre première lecture ?
Les classiques Balzac Zola Montaigne dans la bibliothèque de ma grand mère.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Du Bach surtout mais aussi L. Nono, Scelsi. J’ai un fils musicien contrebassiste dans l’ensemble Musik Fabrik à Cologne en Allemagne, du coup j’essaie de suivre un peu, en ce moment, Aperghis.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
La correspondance à trois Rilke, Pasternak, Tsvetaeva, une merveille
Quel film vous fait pleurer ?
Les films de Tarkowski – « le Miroir » peut-être
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Le temps qui passe
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne sais pas.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Presque toutes les villes d’Italie , nous y avons beaucoup voyagé avec nos trois enfants qui aujourd’hui y voyagent à leur tour.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je rentre de Londres où j’ai vu cette très belle exposition à la Tate Britain des abstraits américains, Rothko, mais j’aime aussi beaucoup les primitifs siennois, et tant d’autres… Veronèse, Pontormo.
La poésie fait partie de mon univers et je lis chaque jour, j’ai inventé cette collection de livres manuscrits peints avec les poètes rencontrés … entre 1986 et 2008, 130 titres ont été réalisés, ce fut une aventure merveilleuse que je poursuis aujourd’hui avec des livres peints dans le domaine de l’édition, c’est-à-dire pour des éditeurs de bibliophilie. Je n’ai jamais créé une maison d’édition contrairement à ce que certains pensent car je crois qu’être éditeur est un autre métier . Je n’ai fait que des rencontres.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Ne plus voir d’enfants dormir dans les rues de nos villes, c’est devenu banal et je ne le supporte plus.
Que défendez-vous ?
Un monde un peu plus juste , les artistes font ce qu’ils peuvent mais ils n’ont pas ce pouvoir de le changer hélas !
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
J’ai le bonheur immense de connaître l’amour depuis 35 ans avec une personne merveilleuse et je m’inscris en faux contre ce jeu de mots lacanien mais je sais bien que c’est quelque chose de rare , ce partage à deux.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
C’est aussi un jeu verbal, la vie est difficile, ce n’est pas un jeu, les autres ne sont pas des pions, le respect est important, la confiance aussi, le travail de la peinture est un métier difficile. Si on joue avec sa vie , il est impossible de mener son travail bien loin car on passe son énergie, toutes ses forces à lutter contre quelque chose qui vous dépasse.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Peut-être parler de mon travail ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 27 décembre 2016.