Après Le murmure du monde, La trame des jours, Le Fracas des nuages, Inévitables bifurcations représente le 4ème temps du cycle qui a pour titre générique celui du premier livre. Au nom de Dieu (« Dada » et « grain de folie » du poète), le monde est listé par fragments en ses merveilles, ses horreurs. Néanmoins, le Verbe n’est pas forcément sacré : il s’égraine le long de ces carnets pour écoper l’existence sans se priver jamais d’ivresses malicieuses tout en maniant la trique si nécessaire.
Tout cela avance avec frénésie matinée d’une culture que l’auteur se garde bien d’étaler. Il préfère: « mettre la brouette et la cantate et la parole mortelle du toubib et la mortalité de l’âme et le ciel provençal sur la même page ». On se serait même contenté de moins : c’est dire si le plaisir est intense. Une bibliothèque tectonique, trictrac, éclectique et en tek nourrit ces pages hybrides : l’auteur y est un Jonas dans le ventre de la femme. Comme la culture, celle-là garde une belle place où bat l’aine. Elle sert par sa présence à empiler des songes qui scient les mensonges comme l’infinie mélancolie d’un Dieu absent.
Sa non-présence est d’ailleurs bienvenue pour l’entité divine tant elle se sentirait de trop dans des intimités charnelles du jouisseur. Prince pas forcément des nuées, il confond au besoin les émois intellectuels et ceux des sens dans sa « sextualité » d’un goût des plus délicieux car transgressifs. Manière de – et si l’on peut se permettre — niquer à la mort. Cela peut paraître cavalier mais, dans un de ses textes précédents, l’auteur la traitait avec des termes plus grossiers afin de suggérer la manière de lui faire subir les derniers outrages. Pour notre bien et pour son mal.
Il recule ici d’une case côté vocabulaire sans toutefois se contenter d’épiler du Ronce-art. Les mots se font la belle, gobent des hippopotames, désarçonnent les garçonnes et ne se remâchent pas lorsque le facteur d’orgues sonne toujours deux fois. Tout s’enflamme et sort des marbres où la poésie trop souvent s’allonge dans des cimetières. Mais dans celui (très particulier) de Schlechter, il n’y a pas que les défunts à se raidir. Les amoureux s’y empourprent et “s’empamprent”.
jean-paul gavard-perret
Lambert Schlechter, Inévitables bifurcations (Le murmure du monde, tome 4), Editions Les doigts dans la prose, 2016.