Joël Baqué, La mer c’est rien du tout

La vie à l’envers

Pol Otchakovsky-Laurens, avec ce livre, revient à sa ligne vériste qui lui avait fait publié jadis Je me sou­viens de Pérec et L’excès — L’usine  de Les­lie Kaplan. En jaillissent des échos avec ici d’autres types de jux­ta­po­si­tions, ajouts. Le livre semble écrit de mémoire à tra­vers des frag­ments, des com­men­ce­ments d’instants qui renaissent. Et ce depuis l’enfance où le futur auteur découvre la lit­té­ra­ture à par­tir d’un livre trouvé sur la plage où il tra­vaillait comme sau­ve­teur des CRS. Ses impres­sions pro­fes­sion­nelles (de poli­cier), plus que des effets de réel, sont des recons­truc­tions sans conces­sion mais où la ten­dresse et la drô­le­rie demeurent.
Plus que de récit, il fau­drait par­ler de poé­sie. Sur­gissent tou­jours un élé­ment per­tur­bant, un abs­cès de fixa­tion qui para­doxa­le­ment n’enlèvent rien du contexte effer­ves­cents d’un quo­ti­dien pour­tant banal. Baqué trouve natu­rel­le­ment un sens de l’amalgame à la fois cohé­rent et hété­ro­clite, il ramène le réel à des réseaux ou des pas­sages secrets. Il y est autant per­mis de rêver que de se deman­der où l’on est pro­jeté, entre notre confort et l’inquiétude du monde au sein du métier de vivre.

L’ auteur ne cherche pas à séduire de manière raco­leuse. Il tend un miroir à tra­vers son expé­rience et celle de ceux qu’il ren­contre de gré ou de force. L’expansion du domaine de la lutte est en quelque sorte éten­due par l’expérience. Elle est concen­trée par l’écriture là où le monde est saisi dans une « pal­pa­tion » aussi directe que dis­tan­ciée. Baqué apprend à habi­ter le ver­tige de tous les jours avec ceux qui sont entre les cartes et les landes. Il y a tou­jours quelque chose qui grince et vient déran­ger le jeu mais le monde n’est pas traité en enfer que seraient les autres. Ils sortent de l’utilisation qu’on pour­rait a priori leur accor­der afin que l’atmosphère ne tourne pas au tra­gique.
L’ iro­nie reste constante sinon pour tout sau­ver, du moins afin de sau­ver ce qui peut l’être dans une décons­truc­tion – recons­truc­tion. Elle déplace la com­pré­hen­sion du lec­teur. La nar­ra­tion hors de ses gonds met à jour le hors-sens des exis­tences par la méta­mor­phose pro­po­sée de la figu­ra­tion et du réa­lisme. Elle appelle moins à une autre réa­lité qu’à une appré­hen­sion dif­fé­rente d’un réel dégrafé.

jean-paul gavard-perret

Joël Baqué,  La mer c’est rien du tout, P.O.L édi­tions, Paris, 2016,  126 p.  

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Filed under Poésie, Romans

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