Désaxant la représentation « classique » en ignorant par exemples les visages, Mael Baussand crée des labyrinthes optiques. Elle jongle avec l’espace, les cadrages, le très gros plan afin de faire jaillir des gisements que certains jugeront intempestifs. De chaque prise surgit le caché. Et cela change la peau des miroirs de la psyché. L’anonymat devient le lieu de la plus grande intimité. Celle-ci soit hypnotise, soit rebute, mais ne laisse indifférent. De tels travaux ignorent les postures d’apparaître pour donner vie à la substance. Le « rebut » y retrouve âme et sens.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le réveil. Je crois. Le soleil, la faim, le ras-le-bol, l’envie d’uriner… Ce sont de bonnes alternatives.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
« Mes insomnies d’adulte » ! J’ai vu ça sur Facebook, c’était plutôt intelligent. Je suis vraiment insomniaque cela dit.
A quoi avez-vous renoncé ?
Aux maths. Sans regret.
D’où venez-vous ?
D’Annecy. De Paris. De France. De ma mère. C’est une question de perspective.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le don de trouble-vue. Un joli lot de squelettes dans le placard. Un prénom fluide. Quelques fantômes.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Prendre des bains. Passer des heures dans l’eau. Et lire. Je peux refuser de sortir juste pour lire, ça demande une incroyable gymnastique diplomatique.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes et écrivains ?
Rien.
Comment définiriez-vous votre approche du féminin ?
C’est… Eh bien, c’est compliqué.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Ce n’est pas exactement la première image, mais je garde un souvenir très vif, purement esthétique, du choc que m’a occasionné à 13 ans le film « Sleepy Hollow » de Tim Burton.
Et votre première lecture ?
« La Petite Fille aux Cheveux Bleus ». Un conte merveilleux, dont la chute me faisait rire, et que j’ai redécouvert il y a peu avec émotion.
Quelles musiques écoutez-vous ?
The Cure, en ce moment.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Pourquoi n’en demander qu’un ! C’est d’une cruauté. Il y en a plusieurs. Je suis une grande re-lectrice, c’est comme visiter de la famille, je vérifie que mes livres ne s’ennuient pas sur leur étagère. Bon. « Le Treizième Conte», de Diane Setterfield.
Quel film vous fait pleurer ?
Je suis bon public. Je pleure et ris très facilement.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Mon jumeau.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Aux gens que j’admire, parce que je suis trop peu de choses. Mais sinon, je n’ose plus vraiment écrire, vraiment écrire, vous voyez.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La maison de mes grands-parents. Un QG d’enfance. Perdu il y longtemps.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
C’est une question difficile parce que j’en oublie à chaque fois. Ceux du moment : les soeurs Brontë, les préraphaélites, l’art décadent fin-de-siècle, Baudelaire, A.S. Byatt, Joyce Carol Oates, Schiele, Klimt…
Les artistes de l’ambiguïté, de la liminalité.
Ceux qui voient de la beauté dans les choses jugées laides — une dynamique gothique à laquelle je suis particulièrement sensible.
De la performance — Marina Abramovic en tête.
De l’engagement de corps — Francesca Woodman, Gina Pane, ORLAN, Valie Export, Nelly Arcan…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un chat, s’il vous plait.
Que défendez-vous ?
Les causes perdues, en général. Plus sérieusement, ce qui touche aux questions de genre. Bec et ongles.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Qu’en plus d’être con, il était cynique, décidément je ne l’aime pas.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Présupposer un oui par défaut c’est dangereux — d’ailleurs il aurait dû le savoir. Dans le doute, mieux vaut répondre non, ça engage moins.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ? « Est-ce que tu vas bien ? »
J’écoute beaucoup les gens se confier à moi, on me demande rarement d’en faire autant. Mais enfin, de toute façons je ne suis pas vraiment à l’aise avec ça, j’esquive, je fuis, je poissonne — ça se remarque peu.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 août 2016.