Fausses pistes et chausses-trappes
Publié à la mémoire de Georges Lambrichs et sous le chapeau d’une phrase de Freud ; « La grande question à laquelle je n’ai jamais trouvé de réponse, malgré trente ans passés à étudier l’âme féminine, est : « Que veut une Femme ? », le roman d’Emmanuel Venet est plus proche de l’esprit du premier que du second. Comme celui-là, il cultive l’art de la synthèse et de l’humour et ce, dès le début du livre avant que l’espoir d’un amour embarque le roman où le fasse dériver du côté de vie après qu’une bonne grand-mère soit enterrée auréolée de parures qu’elle n’a pas forcément méritées : « Je ne comprendrai jamais pourquoi, lors des cérémonies de funérailles, on essaie de nous faire croire qu’il y a une vie après la mort et que le défunt n’avait, de son vivant, que des qualités ». Et l’auteur de préciser : « On me rétorque souvent que je schématise les situations complexes à cause de mon syndrome d’Asperger, mais je me contente de raisonner logiquement, comme chacun devrait s’y astreindre ».
L’auteur est a priori peu soucieux de se bercer d’illusions et de se forger des réponses impertinentes à tous ses doutes. Voire… Néanmoins, il commence donc son livre par une suite d’homélies qu’il redresse puisqu’elles ne correspondent en rien à ce qu’étaient certains vivants avant leur mort. Les mécréants restent — grâce à lui — en leur état. Et il en va de même pours les spécialistes des cancans. On lui fait remarquer combien il serait sage d’accepter le jeu de compromis et de concessions qu’exige la vie en société mais rien n’y fait. Son syndrome qui le rapproche de l’idée qu’il se fait du surhomme nietzschéen le rend « asociognosique, c’est-à– dire incapable de se plier à l’arbitraire des conventions et le caractère foncièrement relatif de l’honnêteté ».
Ce nouvel « Etranger » (mais dont la fin sera moins dramatique) a le tort de préférer la vérité au mensonge. Il est donc un parfait inadapté et n’en peut mais. D’où la violente diatribe envers une grand-mère saluée dans la plus belle hypocrisie au sein d’une cérémonie catholique et romaine par une inconnue de la défunte mais qui a l’audace de l’appeler par son prénom et de multiplier les approximations. « À mes yeux, le simple fait d’appeler centenaire une personne de quatre-vingt-dix-neuf ans et cinquante et une semaines ruine la crédibilité du discours tout entier. Et de fait, on pourrait écrire un livre rien qu’en énumérant les erreurs proférée » : le ton du livre est donné.
Mais le narrateur (bénéficiant d’une petite retraite pour cause de sa déficience « mentale ») est du genre de fou qui sait tirer partie de sa maladie en sachant s’amuser d’une autre démence plus socialisée. A cette grand-mère qu’une de ses filles décrit par multiplication d’’adjectifs laudatifs, le consolé par anticipation propose les siens : menteuse, grincheuse, teigneuse, coureuse, oublieuse, rabâcheuse, truqueuse, râleuse, boudeuse, sermonneuse, cauteleuse, querelleuse, chicaneuse, rancuneuse, mais a-t-il soin de préciser « certainement malheureuse ». Les seuls mots prononcés in petto rendent caduques ceux psalmodiés lors de la cérémonie funéraires : anaphores usées de l’Ecclésiaste et lapalissades de l’épître de saint Paul.
A l’amateurisme des mensonges du monde, le narrateur oppose son désinfectant et sa désaffection vis-à-vis d’à peu près tous les mortels sauf de celle qui pourrait partager sa vie. On laissera au lecteur le plaisir de la découverte d’une telle histoire d’amour (qu’il se souvienne toutefois de ce qu’en disaient les Rita Mitsouko.…). D’autant que vivre avec son père pendant plus de trente ans en partageant sa passion pour le scrabble et les recherches sur les catastrophes aériennes ne procure pas forcément une compétence notoire pour se rendre indispensable auprès de la femme rencontrée d’abord sous le nom de Sophie Sylvestre en seconde au lycée Diderot.
jean-paul gavard-perret
Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond, Verdier, coll. Jaune, 2016, 128 p. — 13,00 €.
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Il semble toutefois que le narrateur n’envisage pas de ” vivre avec” Sophie Sylvestre, qui reste un fantasme absolu parce qu’elle est inaccessible; c’est l’une des nombreuses forces de ce roman: c’est un roman à la gloire du roman, tout ce qui appartient au champ de la réalité est objet de détestation, mais tout ce qui demeure dans le monde de l’inconnu, du rêve, est bon. Ainsi grand-mère Violette, seulement perçue à travers les récits de son époux, ainsi Imre, qui a déserté une famille détestable, ainsi donc Sophie, image d’un monde parfait.