Entretien avec Benoît Peeters (éditions Les Impressions Nouvelles)

Echange ingénu de ques­tions avec un édi­teur (lui non plus) pas comme les autres

Roman­cier, essayiste, émi­nent spé­cia­liste d’Hergé, auteur de scé­na­rios, réa­li­sa­teur, concep­teur d’exposition… Les cordes abondent à l’arc de Benoît Pee­ters — il n’est qu’à lire la page qui lui est consa­crée sur le site des Pié­rides. Il en est une pour­tant qui manque encore : celle de l’édition. C’est pré­ci­sé­ment à pro­pos de sa mai­son, Les Impres­sions Nou­velles, que nous l’avons interrogé.

Les Impres­sions Nou­velles se reven­diquent comme une struc­ture à part, che­vau­chant deux pays fran­co­phones. Qu’est-ce qui fait de vous une mai­son d’édition pas comme les autres ?
Benoît Pee­ters :
Les Impres­sions Nou­velles sont ani­mées par des auteurs qui sont aussi des amis de longue date : Jan Bae­tens‚ Marc Ave­lot‚ Chris­tian Rul­lier et moi-même. La mai­son a deux pôles prin­ci­paux‚ Paris et Bruxelles‚ qui sont clai­re­ment affir­més sur les cou­ver­tures des ouvrages. Les aspects maté­riels (ges­tion et fabri­ca­tion) se réa­lisent plu­tôt en Bel­gique‚ avec ma col­la­bo­ra­trice Patri­cia Kilesse‚ mais le choix des auteurs se veut réso­lu­ment fran­co­phone‚ au sens le plus large du terme‚ c’est-à-dire en incluant bien évi­dem­ment la France.
Le but des Impres­sions Nou­velles est clair : à l’heure des grands mou­ve­ments de concen­tra­tions édi­to­riales‚ notre mai­son cherche‚ en toute indé­pen­dance‚ à inven­ter de nou­veaux modes d’existence pour le livre de créa­tion. Nous fai­sons des livres que les impé­ra­tifs de ren­ta­bi­lité à court terme des grands groupes leur inter­di­ront de plus en plus de publier. Les Impres­sions Nou­velles sont donc un outil plus qu’une entre­prise au sens éco­no­mique du terme. Nous vou­lons don­ner à lire et à pen­ser‚ offrir un espace à de nou­velles écri­tures ou à des livres aty­piques‚ pro­po­ser un pôle de résis­tance et d’innovation‚ un réseau d’énergies et de soli­da­ri­tés.
Même si leurs moyens éco­no­miques sont modestes‚ Les Impres­sions Nou­velles ne se pensent pas comme un “petit édi­teur”. Avec plus de cent titres à leur actif‚ et un rythme actuel de pro­duc­tion de près de vingt ouvrages par an‚ elles s’affirment de plus en plus comme un édi­teur signi­fi­ca­tif. Elles ont notam­ment publié des auteurs comme Raoul Ruiz‚ Ray­mond Feder­man‚ Jean Ricar­dou‚ Jacques Ran­cière‚ Erwin Panof­sky‚ Mar­tin Vaughn-James‚ Oli­vier Smol­ders et Fran­çois Schui­ten. Mais aussi des auteurs nou­veaux comme Auré­lia Aurita‚ André Sarcq et Phi­lippe Fumery.
L’une des spé­ci­fi­ci­tés de la mai­son est sans doute le refus de la spé­cia­li­sa­tion. Les Impres­sions Nou­velles ne s’interdisent a priori aucun genre‚ aucun for­mat. Elles publient des romans et des récits‚ du théâtre et de la poé­sie‚ des essais et des beaux livres. Elles ne détestent pas la polé­mique (Cor­neille dans l’ombre de Molière de Domi­nique Labbé‚ Vincent avant Van Gogh de Benoît Lan­dais) Elles aiment le texte et les images (TGV‚ conver­sa­tions fer­ro­viaires de Chan­tal Mon­tel­lier‚ Élé­gie à Michel-Ange de San­drine Willems et Marie-Françoise Plis­sart). Elles ont lancé les pre­miers DVD lit­té­raires de l’édition fran­çaise (Entre­tiens avec Robbe-GrilletLe fran­çais dans tous ses états). Aujourd’hui‚ avec Fraise et Cho­co­lat‚ elles s’ouvrent à la bande dessinée.

Votre pro­duc­tion est com­plè­te­ment rai­son­née, alors que l’on parle de fuite en avant de l’édition depuis plu­sieurs années. Cela tient-il à vos finances ou à une poli­tique de choix dras­tiques dans vos publi­ca­tions ?
Nous essayons effec­ti­ve­ment d’éviter la fuite en avant. Avec une équipe aussi réduite que la nôtre‚ et la volonté d’un tra­vail spé­ci­fique sur chaque ouvrage et avec chaque auteur‚ publier dix-huit livres‚ comme nous allons le faire cette année‚ est déjà consi­dé­rable. Dans toute la mesure du pos­sible‚ nous vou­lons évi­ter les livres “inutiles”‚ ce qui ne veut pas dire que nous refu­sons les oppor­tu­ni­tés. Car pour une mai­son comme la nôtre‚ la réus­site ne peut se construire que dans la durée. Il faut se don­ner les moyens de tenir. Il faut trou­ver des sou­tiens‚ à tous les niveaux.
Les vraies dif­fi­cul­tés‚ aujourd’hui‚ relèvent de la dif­fu­sion et de la dis­tri­bu­tion. Com­ment être visible dans un nombre impor­tant de librai­ries tout en évi­tant des retours exces­sifs ? On sait que la vie des livres est de plus en plus courte et la grande presse de plus en plus dif­fi­cile à faire réagir sur des ouvrages qui ne sont pas pro­mus par les atta­chées de presse les plus en vue. Pour les essais et les livres d’images‚ nous nous débrouillons à peu près. Pour les textes de fic­tion‚ et plus encore pour les livres de théâtre ou de poé­sie‚ c’est vrai­ment très dif­fi­cile. Et par­fois décou­ra­geant‚ au-delà même des ques­tions éco­no­miques.
Je crois qu’il y a de nou­veaux modes de dis­tri­bu­tion à inven­ter‚ notam­ment à tra­vers inter­net. Nous atta­chons une grande impor­tance à notre site 
 ; il est très consulté et constam­ment actua­lisé. Pour beau­coup de livres‚ nous pro­po­sons des extraits sous forme de fichiers PDF. Peut-être un jour offrirons-nous des fichiers numé­riques d’ouvrages com­plets. Gra­tuits ou payants‚ je ne sais pas encore. Ce sont des ques­tions aux­quelles je réflé­chis beaucoup.

Com­ment fait-on pour être publié chez vous ?
Nous rece­vons de plus en plus de manus­crits par la poste‚ et nous pre­nons le temps de les lire‚ mais il faut recon­naître que nous en publions très peu. Pas du tout par prin­cipe ; sim­ple­ment parce que rares sont ceux qui cor­res­pondent à nos goûts‚ à notre désir d’“impressions nou­velles”‚ d’un ordre ou d’un autre. Je suis d’autant plus heu­reux que nous fas­sions paraître fin août un pre­mier roman‚ au pro­jet très ori­gi­nal et à l’écriture superbe‚ Vues sur la mer d’Hélène Gaudy. Ce manus­crit nous est arrivé sans la moindre recom­man­da­tion. C’est un vrai plai­sir de rece­voir un texte de cette qua­lité.
Mais dans la plu­part des cas‚ de près ou de loin‚ nous connais­sons les auteurs ou les auteurs nous connaissent. Nous enten­dons par­ler des livres au moment où ils s’écrivent (La Moder­nité roman­tique de Jean-Pierre Ber­trand et Pas­cal Durand‚ Cyrano‚ qui fut tout et qui ne fut rien de Jean-Marie Apos­to­li­dès). Il arrive aussi que nous sus­ci­tions des pro­jets (l’album col­lec­tif Lit­tle Nemo‚ un siècle de rêves ou L’Apprenti Japo­nais de Fré­dé­ric Boilet).

Vous avez décidé une fois pour toutes de vous libé­rer d’un for­mat type et d’adapter la forme au fond. Si l’idée est sédui­sante (et se jus­ti­fie ample­ment au vu des résul­tats), les rayon­nages des biblio­thèques perdent en esthé­tique. Pensez-vous que cela soit un frein à l’achat ?
Qui range vrai­ment ses livres par édi­teur ? Et quel lec­teur suit l’ensemble de notre pro­duc­tion ? Nous ne rai­son­nons pas en ces termes. Nous serions plu­tôt dans la logique de Fran­cis Ponge qui vou­lait une rhé­to­rique par objet. Nous cher­chons à pro­po­ser “un objet par pro­jet”‚ aidés en cela par notre gra­phiste (Claude Laporte) et notre impri­meur prin­ci­pal (Snel Gra­fics à Liège). N’est-ce pas une des forces et une des chances de l’édition indé­pen­dante que de pou­voir nour­rir un dia­logue très proche avec ses auteurs‚ sur le plan du contenu comme sur celui de la fabri­ca­tion ?
Dans l’édition cou­rante d’aujourd’hui‚ la stan­dar­di­sa­tion des objets est plus sou­vent dic­tée par la paresse ou la volonté du moindre coût que par un réel désir d’homogénéité. Quant à nous‚ nous cher­chons moins à impo­ser une “image de marque” qu’à faire des livres qui nous plaisent et plaisent à leur auteur. Mais nous avons encore des pro­grès à faire en cette matière‚ en pous­sant plus loin les recherches sur les for­mats et les papiers‚ tout en gar­dant des prix de vente rai­son­nables. Édi­ter‚ à une échelle comme la nôtre‚ est un com­bat de chaque jour. Heu­reu­se­ment‚ il y a aussi quelque chose de très gra­ti­fiant‚ sur­tout dans le contact avec les auteurs. Pour ma part‚ j’aime autant publier les livres des autres qu’écrire les miens‚ et je res­sens ces deux acti­vi­tés comme tout à fait com­plé­men­taires. Le talent des autres me ravit.

Les Impres­sions Nou­velles
Ave­nue Albert, 84
B-1190 Bruxelles
Tél : 00 322 503 30 95
Cour­riel :
info@lesimpressionsnouvelles.com
Le site des Impres­sions Nouvelles

 Dif­fu­sion en France : Har­mo­nia Mundi
Dif­fu­sion et dis­tri­bu­tion en Bel­gique : Har­mo­nia Mundi / Cara­velle
Dif­fu­sion et dis­tri­bu­tion au Qué­bec : Dimé­dia
Dif­fu­sion et dis­tri­bu­tion en Suisse : Zoé

Les publi­ca­tions des Impres­sions Nou­velles sur lelitteraire.com :

Elé­gie à Michel-Ange de San­drine Willems et Marie-Françoise Plis­sart
La part de l’ombre d’Olivier Smol­ders
TGV, conver­sa­tions fer­ro­viaires de Chan­tal Mon­tel­lier
Lit­tle Nemo 1905–2005 : un siècle de rêves (col­lec­tif, sous la direc­tion de B. Pee­ters)
Fraise et cho­co­lat d’Aurélia Aurita
L’apprenti Japo­nais de Fré­dé­ric Boi­let (et ici l’interview de l’auteur)

   
 

Inter­view réa­li­sée par isa­belle roche par mail le 31 mars 2006.

 
     

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