Mauren Brodbeck et l’apprentissage de l’énigme — entretien avec l’artiste

Mauren Brod­beck crée un acquies­ce­ment inso­lite au monde qui se dérobe et qu’elle éclair­cit. Dans une nar­ra­tion sèche, une nudité nou­velle voit le jour en divers contours. L’image retient, dis­perse en pous­sière nar­ra­tive. Existe un dépla­ce­ment du regard là où le miroir se trouble. La Suis­sesse sait qu’il n’y a de sau­va­ge­rie que dans l’énigme : c’est une ques­tion de lisière et de mur. Le ciel est un dehors sans pen­sée. Ou dans son inver­sion.
A la parure fait place la som­ma­tion. Il s’agit de cor­rompre l’étendue qui ne fait qu’un avec le « mur ». L’artiste pré­fère l’incision à la dra­pe­rie. L’image est de l’autre côté de la chose com­mune en un acquies­ce­ment parié­tal où le sin­gu­lier fait le jour.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de par­ta­ger la vie et être en lien avec elle, de me connec­ter aux per­sonnes qui m’entourent, aux choses, des plus petites, si riches et fortes comme un moment de ten­dresse avec mes enfants ou écrire, créer, ou encore goû­ter aux sen­sa­tions, aux plai­sirs, d’être en rela­tion avec la magie de notre monde.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Quand j’étais petite, je vou­lais sau­vez l’Amazonie. Main­te­nant, je veux sau­ver le monde. Beau­coup de sujets me tiennent vrai­ment à cœur, sûre­ment même trop, comme l’environnement et la pla­nète, le droit des enfants et des femmes, la liberté d’expression et l’expression per­son­nelle. Mon tra­vail artis­tique traite à tra­vers divers pro­jets et thèmes de cer­tains de ces sujets comme par exemple mon tra­vail sur l’identité. En révé­lant l’essence des choses et en inves­ti­guant notre monde, j’espère  que cha­cun mette le feu à la petite étin­celle dans son cœur et ainsi allu­mer son vol­can inté­rieur, se réveiller de ce l’automatisme de la vie qui fait qu’on ne voit plus, qu’on ne sent plus et qu’on est prêt à accep­ter les choses telle qu’elles sont. Cer­tains de mes rêves ont passé à la trappe, je vou­lais deve­nir fleu­riste, espion et astro­naute ! D’autres, je les réa­lise, comme celui de chan­ter et de créer. Ce qui importe le plus pour moi est d’inspirer à voir l’invisible, la poé­sie de la vie, à trou­ver son propre che­min, et ainsi à res­pec­ter notre monde.

A quoi avez-vous renoncé ?
A avoir beau­coup d’enfants.

D’où venez-vous ?
De Genève

Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’attention aux mer­veilles de la vie quo­ti­dienne, l’inspiration dans l’art, la créa­tion, le design, let cou­leurs, le regard.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mes enfants, les oiseaux, le soleil, mon mari, écrire, ma famille, créer, chan­ter, jouer, des­si­ner, lire, expé­ri­men­ter, res­sen­tir, me sen­tir libre, l’infini.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Peut-être le fait que je sou­haite vrai­ment et direc­te­ment me connec­ter aux gens à tra­vers mon art. La créa­tion n’est pour moi que la pre­mière par­tie de mon tra­vail, la deuxième étant de com­mu­ni­quer et de me connec­ter d’une manière plus intime, directe et per­son­nelle, c’est pour­quoi je fais des per­for­mances, des speechs. Je pense que l’art contem­po­rain souffre d’autant de croyances limi­tées que d’autres sec­teurs comme la finance ou l’éducation. J’essaie de repen­ser les pos­si­bi­li­tés de faire écla­ter ces bar­rières en créant des pro­jets trans­ver­saux et libres de tous conditionnements.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Pro­ba­ble­ment les pein­tures colo­rées et pop de mon père ou la fameuse pho­to­gra­phie de J.R. Eyer­man qu’il a prise lors du la pre­mière de « Bwana Devil » au cinéma Para­mount Theatre à Hol­ly­wood le 26 novembre 1952. Il y a cette magie du cinéma qui m’interpelle et le côté humain qui tend à accep­ter comme vérité ce qu’on lui apprend.

Et votre pre­mière lec­ture ?
« L’éléphant aux patins à rou­lettes » un livre d’enfant que j’ai retrouvé il y a quelques temps. Il conte l’histoire d’un petit élé­phant qui veut faire les choses dif­fé­rem­ment mal­gré les résis­tances des dif­fé­rents membres de sa famille !

Com­ment définiriez-vous votre approche “com­bi­na­toire” ?
Pour moi, c’est une sorte de créa­tion ciné­ma­to­gra­phique, une cho­ré­gra­phie. Je viens du cinéma et j’ai grandi dans la danse et la musique. Je tra­vaille tou­jours avec la nar­ra­tion en tout pre­mier. C’est une forme du col­lage et de mise en scène de per­son­nages, d’histoire, de décors, de lumières, de sons… Il s’agit aussi de cacher, de sim­pli­fier, de mettre en évi­dence, d’amplifier, de diri­ger et donc de réa­li­ser, donc de racon­ter quelque chose : c’est comme regar­der tra­vers un objec­tif et limité le regard à un cer­tain cadrage.

Quelles musiques écoutez-vous ?
L’électro sous toutes ses formes, mais aussi du r’n’b, du hip-hop, du rock et pop rock, du jazz. En fait, j’ai un réper­toire très varié. Je crée aussi ma propre musique que je n’ai pas encore qua­li­fiée mais c’est très elec­tro pop ten­dance années 80 !

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis pas mais si je devais en relire un, ce serait “Memo­ries, Dreams, Reflec­tions” by CG Jung.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Tous les films tristes ou émou­vants, je suis hyper sensible.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme qui a des rêves d’enfant, une ado dans un corps d’adulte, une petite fille qui n’a jamais trop grandi, quelqu’un de très ordi­naire mais d’unique, qui peut avoir beau­coup de pou­voir et et a beau­coup de faiblesses.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Los Angeles. Cette ville est sou­vent per­çue comme un lieu très arti­fi­ciel, je la vois plu­tôt comme une ville hyper-authentique.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens proche des artistes qui ont une approche trans­ver­sale et tra­vaillent dans plu­sieurs domaines de créa­tion, comme Den­nis Hop­per par exemple.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une surprise.

Que défendez-vous ?
La pen­sée hors des sen­tiers bat­tus, la liberté de créer sa vie à sa manière, dif­fé­rem­ment, la tolé­rance, l’amour, la joie, le fun, le respect.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Une forme d’humilité.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’adore.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Peut-être sur quel pro­jet je tra­vaille actuel­le­ment ? La réponse serait que je suis en train de tra­vailler sur une série de pay­sages sonores que j’ai com­men­cés en 2014. C’est une explo­ra­tion de pay­sages arti­fi­ciels créés sur com­pu­ter avec mes com­po­si­tions musi­cales à l’aide d’un pro­gramme sur mesure qui trans­forme mes com­po­si­tions en pay­sages tri­di­men­sion­nels. J’explore les dif­fé­rentes facettes de ces pay­sages et pré­pare une per­for­mance : créer un uni­vers en immer­sion et multi-sensoriel.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 13 mai 2016.

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