Entretien avec le créateur de Martus Lupus :
Rappel : l’artiste a réalisé quelques court-métrages (Nostrilien’s Attack From The Zombie Glove, The Bending Stain, Smarkacz, Parch, et surtout BOBOK, prix du jury au festival Côté-Court en 2011). La galerie Phantom Projects Contemporary (lieu de l’exposition personnelle de l’artiste) se trouve à Troyes (27, rue de la monnaie).
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je suis affligé d’une espèce d’épilepsie nocturne horizontale bizarre qui me fait danser le St Guy en spasmes et convulsions chaque fois que je me détends. M’endormir me réveille littéralement, en panique en plus, et à répétition. C’est assez épuisant donc ça finit par avoir raison de moi. J’imagine que le réveil est le moment où ça a tort.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je ne me souviens de pas grand-chose de mon enfance et de ses réclamations. À part que j’aime bien qu’on me fourre les doigts dans les oreilles (on sait pas pourquoi) et que j’ai fait subir au trottoir une crise de nerfs très dramatique en me cognant la tête à répétitions sur le bitume devant le cinéma qui refusait de me laisser voir Robocop 2 le jour de sa sortie, sous le prétexte fallacieux que c’était interdit aux moins de 12 ans.
J’ai fini par le voir par des moyens détournés et c’est pas mal du tout, même si ça ne comprend absolument rien au secret mélancolique du film de Verhoeven.
On peut pas toujours avoir avoir ce qu’on veut. Voilà ce qu’ils sont devenus.
A quoi avez-vous renoncé ?
À Robocop 3.
D’où venez-vous ?
Mes origines culturelles et géographiques sont baltes (Lituanie et Pologne, ou les différents noms que ces pays ont pris au gré de leurs apparitions-disparitions successives). En tout cas, c’est ce qu’on m’a dit. L’arbre généalogique est truffé de faux papiers, d’entourloupes… et les abominations de la guerre.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Probablement quelque chose comme une sorte de défiance. Ainsi que la grâce d’avoir survécu (et plutôt pas mal) à un grave accident cérébral qui, semble-t-il, m’a même rendu beaucoup moins crétin que celui que je fus auparavant. Mais de ça, je ne garde aucun souvenir — seconde grâce.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Quotidien, oui, volontiers.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Les tableaux se distinguent, s’ils doivent se distinguer, pour intégrer la grande famille des tableaux. Gasiorowski dit quelque chose comme « Peinture est flot qui emporte tout, et les peintres ont l’air de vouloir le contenir en y plantant des tableaux, mais seul le flot importe. »
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Il me reste quand-même quelques souvenirs « punctum ». Concernant la peinture je me revois très bien vomir l’intégralité d’un paquet de bonbons schtroumpfs sur l’asphalte brûlant, aveuglant, sur un bord d’autoroute en plein midi. Il s’y trouvait absolument TOUTES les couleurs imaginables, y compris le noir et le blanc, une vraie palette. C’était tellement incroyable que mon père a pris la photo.
Et votre première lecture ?
Puisqu’on parle de mon père, il m’a concocté une sacrée surprise à un réveillon de noël — je devais avoir 15 ans. Toute la famille était là et le sapin croulait de cadeaux pour tout le monde, pour tout le monde sauf moi. C’était assez agaçant et je me suis consolé dans le champagne. Quand tout le monde a été parti, il m’a tendu mon unique présent. Un livre. Sur la page de garde il avait écrit : « Quand on est parti de rien pour arriver nulle part, on n’a de merci à dire à personne. »C’était tellement intriguant et énervant que j’ai dévoré le roman dans la nuit. C’était Souvenirs d’un pas grand-chose de Bukowski. Le lendemain, j’entamais la lecture de ses oeuvres complètes et depuis de tout ce qui peut exister. Il m’avait offert la littérature.
Comment définiriez-vous votre approche de l’apocalypse pour demain ?
Mes tableaux le font pour moi, à la façon d’une grande récapitulation anarchique de la Création qui convoque ses créatures pour qu’elles s’intensifient au maximum d’elles-mêmes, une dernière fois, une seconde avant de disparaître à tout jamais.
Je dirais que « La peinture est la dignité de tout ce qui se surajoute au monde », si j’avais le sens de la formule.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Les chants Inuits, Chostakovitch et Depeche Mode.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je relis chaque année l’intégralité de Dostoievski, et le Maître et Marguerite de Boulgakov 2 fois. Sinon les Journaux de Kafka et Gombrowicz sont comme mes poumons.
Quel film vous fait pleurer ?
Si vous voulez vous marrer, collez-moi devant la fin de Elephant Man - quand il meurt et que sa mère apparaît dans les étoiles et pérore « Rien ne meurt jamais ». Eh bien, je m’inonde systématiquement le menton à ce moment-là. Et vous pouvez me repasser la même scène 50 fois d’affilée, ça marche à tous les coups. Je le sais, j’ai déjà essayé.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’ai découvert la véritable couleur de mes yeux l’année dernière en refaisant mon passeport. Jusque-là j’avais toujours pris comme argent comptant ce que ma mère raconte à tout le monde: « Je voulais un blond aux yeux bleus, c’est exactement ce que je voulais ! »
Or je ne suis pas blond et mes yeux pas bleus.
On parle beaucoup de mes parents, non ?
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ai un jour obtenu les coordonnées d’Isabelle Adjani, pour un film que je préparais. Je me suis dit en essayant de lui écrire que c’était assez vain et débile, « Bonjour je m’appelle Untel, je fais ci et ça et je vous aime bien » etc… Alors je lui ai rédigé une petite nouvelle à la place. Sur son vagin. Qui parle. Si la nouvelle l’épatait, elle serait alors à coup sûr toute disposée à me manger dans la main ! Mais je n’ai jamais envoyé la nouvelle, je ne sais pas trop pourquoi — trop intime peut-être.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je me suis élaboré toute une conception sinueuse de ce fameux « Nulle part »qu’est la Pologne. Sinon la carte vide de la Chasse au Snark de Lewis Carroll, Neverland ou l’atelier font office d’arènes à mythification.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Tous les artistes et écrivains dignes de ce nom. Après, je découvre à l’occasion des accointances parfois inattendues de ce que je fabrique avec certains peintres comme Moreau, Jordaens, Mondrian (celui-là personne ne veut jamais me croire mais il est pourtant probablement celui qui m’importe le plus), les icônes… des écritures où il me semble que je comprends tout, que mon propre système nerveux se déploie devant moi. Des solidarités limoneuses. En littérature, certains me font carrément office de méthodes : Michaux, Gombrowicz, Kafka, Boulgakov, Dostoievski, Beckett, Flaubert.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Rien. Comme à noël. Ça me fera peut-être découvrir la trompette ou quelque chose comme ça. Qui sait ?
Que défendez-vous ?
Le fait de se défendre.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cette histoire juive du type qui fuit les pogroms depuis les confins de la Sibérie, qui traverse à pieds le pays d’est en ouest en se cachant dans les fossés, qui parvient enfin en Pologne mais la guerre éclate, puis l’Allemagne et enfin la France, puis la zone préoccupée, jusqu’au littoral atlantique. Là, il se rue dans la première agence de voyage qu’il trouve, s’effondre sur le comptoir et réclame un billet. « Pour où ? » lui demande la bonne femme de l’agence.
– N’importe où. Loin. Et vite.
– Ah, mais je ne peux pas décider pour vous mon petit monsieur. Tenez, prenez donc ce globe terrestre, faites votre choix et revenez me voir.
Alors le type s’écroule sur une chaise avec son globe, le tourne, le tourne, le tourne…
Finalement il revient au comptoir et demande: « Vous n’en auriez pas un autre ? »
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Eh bien, voilà la blague précédente fait très bien l’affaire.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Combien je vous dois ?
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 21avril 2016.