Maurice G. Dantec, Cosmos Incorporated

Le der­nier roman de Dan­tec ne se laisse pas enfer­mer dans une feuille de papier — et pas davan­tage dans une page web

Écrire sur Dan­tec. Écrire Dan­tec, plu­tôt. Cos­mos Incor­po­ra­ted. Le der­nier roman de Dan­tec ne se laisse pas empri­son­ner par une feuille de papier, il s’échappe comme l’homme du camp (réfé­rence au livre). Dan­tec a fui l’Europe pour s’exiler au Qué­bec. Là-bas, il est un écri­vain nord-américain de langue fran­çaise. Sa dégaine de rockeur en des­cente de LSD, sa plume parano sous influence mys­tique en fait sûre­ment rire plus d’un, mais ses bou­quins, eux, ne sont pas drôles. Dans La Sirène rouge ou dans Baby­lon Babies - un très grand roman — les sujets abor­dés sont la fin de siècle, la tech­no­lo­gie omni­pré­sente, les drogues aussi, de vrais hommes avec des fusils et des gens très méchants de l’Est ou d’ailleurs.

C’est assez plai­sant fina­le­ment. Quand dans son enfance on n’a pas lu Alexandre Dumas, les aven­tures de Rocam­bole ou Croc blanc mais plu­tôt Phi­lip K. Dick, le cycle de Conan le Bar­bare ou Le mythe de Cthulu, on se sent chez soi dans ses livres. Dan­tec, c’est une géné­ra­tion : celle de la fin du monde, des fêtes jusqu’à quatre heures du mat, 1 gramme dans le sang jusqu’à midi, allongé nulle part la clope au bec, après 68 mais juste avant l’an 2000, pas l’Apocalypse mais un peu après. On peut dire que Dan­tec est fou, mais c’est un grand écri­vain. On peut dire qu’il dérape, mais c’est un grand écri­vain. On peut dire qu’il gerbe des bêtises, mais une fois encore c’est un grand écri­vain. Ses prises de posi­tion ne laissent per­sonne indif­fé­rent, il y a dans son dis­cours, par­fois des véri­tés, d’autres fois de vul­gaires brèves de comp­toir. Dan­tec est une mon­tagne russe, un dés­équi­libre, Dan­tec m’enchante mais je garde mes dis­tances. Tout le monde n’est pas obligé de croire aux catas­trophes, lui y croit et nous les décrit, voilà. La lit­té­ra­ture est un virus, elle est sa parole qui s’insinue dans la tête de son lec­teur, selon lui. Cos­mos Inc.

Quelque chose se passe dans la tête de Plot­kine, ON/OFF, il vient d’arriver à Grande Jonc­tion. Il loge à l’hôtel Laïka, de drôles de gens y habitent, il traîne dans les quar­tiers de bout du monde de cette ville aux confins du néant et de la civi­li­sa­tion. Le monde est gou­verné par une ins­tance mon­diale, L’unimonde humain. L’UMHU a une devise : “Un monde pour tous, un dieu pour cha­cun”. La tech­nique n’est plus capable de pro­grès. C’est la fin de l’homme mais aussi de la tech­nique. Bien­ve­nue dans Cos­mos Inc.
Plot­kine est l’homme de la fin (p. 287), il arrive dans un coin où tout est à vendre, où l’on est au bout du bout. Plot­kine est venu pour tuer le maire de cette ville, en cours de route ça va un peu déra­per, vers autre chose, disons. Il tombe sur des anges, ils ont une mis­sion pour lui, un truc vrai­ment impor­tant à faire et tout de suite.

Après, Dan­tec tombe dans la mys­tique, dans une mys­tique machi­nique, avec des chiens qui parlent et des enfants-boîtes. Cos­mos Inc. est un trou noir dans la nar­ra­tion uni­ver­selle, un mael­ström de sen­sa­tions infi­nies, une écri­ture mys­tique, une expé­rience. C’est un roman de science-fiction, bien sûr, c’est aussi une étape pour l’écrivain qui achève de bri­ser sa chry­sa­lide. Après La Sirène rouge et Les Racines du Mal, une pre­mière étape, après encore Baby­lon Babies et Villa Vor­tex — seconde étape –Dan­tec entre dans une nou­velle phase, il se tourne vers la théo­lo­gie et explore l’homme du XXIe siècle un peu plus encore. En fait, on ne sau­rait trop dire si Baby­lon est une tran­si­tion entre deux blocs mais ce der­nier roman est aussi une conti­nua­tion de Villa Vor­tex, c’est à l’appréciation des lec­teurs régu­liers de l’auteur.

Indé­pen­dam­ment de la per­pé­tuelle affaire Dan­tec à cause des jour­naux - Le théâtre des opé­ra­tions, dont il a annoncé le der­nier volet avec le tome III — il accom­pagne cette méta­mor­phose lit­té­raire d’un chan­ge­ment de mai­son d’édition. Main­te­nant publié chez Albin, il espère ne pas se faire caviar­der son jour­nal. D’ores et déjà, cha­cun peut en être sûr, il sera caviardé, sous peine de pro­cès en cas­cades. Dan­tec est libre de pen­ser ses imbé­cil­li­tés comme ses idées de génie, il faut savoir appré­cier les écri­vains avec leurs défauts. Cher­chez pas, lisez seule­ment, faites-vous votre propre idée. La fin du monde est pour bien­tôt, ce sont les livres de Dan­tec qui le disent, alors, en atten­dant, je me prépare…

medhi cle­ment

   
 

Mau­rice G. Dan­tec, Cos­mos Incor­po­ra­ted, Albin Michel, août 2005, 568 p. — 22,50 €.

 
     
 

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