Maurice G.Dantec, Babylon Babies

Une onde de choc en attente autour d’un point d’impact qui a déjà explosé

Amateur de trai­tés stra­té­giques sur l’art de la guerre, lisant Nietzsche à ses moments per­dus ou après avoir abattu un homme, Hugo Cor­né­lius Too­rop est un mer­ce­naire qui a par­ti­cipé à tous les conflits de la fin du XXe siècle. En 2013, il accepte de convoyer une jeune femme, Marie Zorn, au Canada. Mais Too­rop apprend trop tard que Marie est une schi­zo­phrène ayant servi de cobaye à des cher­cheurs tra­vaillant sur les limites du cer­veau dans son rap­port à la réa­lité.
Or, ces expé­ri­men­ta­tions annoncent la spi­rale mys­té­rieuse des études scien­ti­fiques sur l’ADN et des pro­ces­sus cog­ni­tifs en cor­ré­la­tion avec les rites cha­ma­niques de l’univers. S’ouvrent alors des ” liens magiques, et sacrés, entre fic­tion et réa­lité “. Ce voyage com­man­dité par la mafia semble cacher une vérité bien plus incroyable encore. Marie trans­por­te­rait en effet des souches virales ou des ani­maux trans­gé­niques, monstres mutants inter­dits par le pre­mier édit de l’ONU sur les Droits du Génome Humain. Mais une schi­zo­phrène, qui n’est pas “une por­teuse saine” ne remet-elle pas com­plè­te­ment en cause, en vertu de la pas­se­relle entre psy­chisme et bio­chi­mie cel­lu­laire, la fia­bi­lité de l’opération ?

Multi­pliant les jeux de pistes, Mau­rice G. Dan­tec com­plique la trame noire de son roman, où inves­ti­ga­tion poli­cière, débats scien­ti­fiques et inter­ro­ga­tions méta­phy­siques se répondent. S’ajoutent alors aux agis­se­ments de deux réseaux cri­mi­nels liés à diverses mafias les manoeuvres sub­ver­sives de sectes post-millénariste enne­mies. Sans comp­ter un groupe de robots/cyborgs per­fec­tion­nés, cha­peauté par un spé­cia­liste en bio­chi­mie molé­cu­laire et en hal­lu­ci­no­gènes, un écri­vain de science-fiction vision­naire ainsi qu’une extra­or­di­naire entité élec­tro­nique — machine para­doxa­le­ment vivante car dotée d’un cer­veau bio­nique et d’organes de per­cep­tion.
La ques­tion est bien alors pour Too­rop de savoir si la jeune femme court un dan­ger ou incarne le Dan­ger en per­sonne. Autre­ment dit, de déter­mi­ner ce qu’elle trans­porte. N’annonce-t-elle pas en effet un véri­table cata­clysme bio­lo­gique pour l’avenir des hommes, une défla­gra­tion sans pré­cé­dent dans l’histoire de toute l’humanité ?

En rédui­sant les dif­fé­rences entre vivant et machine, orga­nique et arti­fi­ciel, Marie repré­sente une ouver­ture vitale dans toute société asphyxiée par une repré­sen­ta­tion hyper-déterministe du temps. Dan­tec rend hom­mage à Deleuze et Guat­tari puis jus­ti­fie au pas­sage l’existence des schi­zo­phrènes en réac­tion contre le déve­lop­pe­ment tech­nique des socié­tés. Le schi­zo­phrène n’est-il pas le rap­pel de la fécon­dité de l’être, “l’identité n’étant qu’une variable pro­vi­soire” ? De nou­veaux états de conscience s’offrent désor­mais à nous.
Baby­lon Babies est un livre pas­sion­nant, d’une richesse ver­ti­gi­neuse. L’écriture épouse les ara­besques d’une liberté tou­jours en quête de nou­veaux ter­ri­toires. Une liberté au-delà des mirages scien­ti­fiques et de la simple cau­sa­lité his­to­rique. Le lec­teur se heurte ainsi de plein fouet à une “Onde (…) de choc en attente autour d’un point d’impact qui a déjà explosé et qui (…) se délecte de l’effet à venir…”

fre­de­ric grolleau

   
 

Mau­rice G.Dantec, Baby­lon Babies, Folio SF, 2001, 720 p. — 8,00 €.

 
     

1 Comment

Filed under Poches, Science-fiction/ Fantastique etc.

One Response to Maurice G.Dantec, Babylon Babies

  1. Pingback: Maurice G. Dantec, Satellite Sisters (+ La querelle Dantec/Ring) | lelitteraire.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>