Les conteneurs de vie de Paul Graham
Pour Graham, le régime de représentation de la photographie est au cœur de ses préoccupations. Le pouvoir des images — tributaire pour lui de l’histoire de l’art et d’une anthropologie visuelle — est réfléchi afin d’investir, de bouleverser et de convertir l’habituel processus ou pacte photographique sans s’affranchir des atmosphères, évocations et mises en scène du réel. Autant de données auxquelles il faut ajouter des résurgences iconographiques et thématiques qui soulignent une accointance souterraine avec la picturalité. Ce positionnement crée une complicité avec la peinture sans pour autant réduire la photographie à un de ses sous-produits.
Rares sont les créateurs à pouvoir se prévaloir d’une vision aussi pénétrante et cohérente à la fois du réel et de leur propre travail. Le seul reproche qui peut être concédé à Graham est la perfection… Contrairement à certains créateurs qui se replient sur une homogénéisation formelle, thématique voire géographique, l’Anglais cultive une hétérogénéité qui néanmoins ne part pas en tout sens. La photographe, à la certitude d’une stabilité réconfortante, préfère les précarités et les imprévisibilités de situations vulnérables ou processuelles. Le réel est habillé de doutes au sein même de la fixité qui en aucun cas ne les amoindrit dans des stratégies d’anamnèses. Celle-ci se superpose à toute forme d’instantanéité et d’amnésie de temporalités et de localisations disjointes.
Les travaux de Graham sont habités de ses souvenirs, de ses réminiscences et bien sûr de ses connaissances. Tout cela se cristallise dans des « narrations » parfois improbables et toujours surprenantes sans que l’aspect sensationnel ne soit cultivé. La sidération ne passe plus par la fascination béante mais en transformant par l’esthétique — contraire d’un esthétisme — les conteneurs de vie.
jean-paul gavard-perret
Paul Graham, Does Yellow Run Forever ?, Mack (Londres), non paginé, 2014 - 35,00 €.