Maximilien Friche et ses Apôtres d’opérette

Maximilien Friche n’est pas un grand auteur catholique. S’il n’était que catholique, on le prendrait pour un scribouillard à eau bénite. S’il n’était qu’un auteur, il lui manquerait la facétie dont la scatologie n’est que le crochet. Quand il écrit, Friche n’est ni croyant ni écrivant. C’est un vrai écrivain, c’est-à-dire que, pour lui, l’anecdote et l’intrigue ne font pas le poids devant l’égarement d’être, cette braconnière oscillation entre la vétille et le pas-grand-chose, dissimulés dans l’antre du presque vide – ce néon du récit.

C’est un écrivain, presque le contraire d’un être humain, cette bestiole qui s’agite sur une planète dont personne ne sait rien. Être écrivain, c’est moins lassant qu’être humain. Les écrivains sont des triangles isocèles à qui il manque trois côtés. Les romans de Friche sont trinitaires, eux aussi, au sens où ils réunissent une profondeur diantre, une équivoque ironie – presque involontaire – et une carte pour parcourir, à moitié cinoque, les chemins qui ne mènent qu’au sentier d’après.
On a parfois l’impression d’un enfant qui ne veut pas casser son jouet. Pour lui, une flaque est un océan ; Dieu, un contresens contrefait ; et la joie, une manière de ferrer la tristesse, celle qui retient ses larmes devant la mélancolie.

Comme Bossuet, ce splendide monument enterré, il considère les « idées personnelles » comme une hérésie, comme le meilleur rempart contre l’originalité. Quand il nous parle de politique, il la cintre, tel un oubli, pour y accrocher des fanfreluches. Quand il lance une bombe, c’est pour mieux nous dire qu’il est désarmé. Quand il conte, nous sortons enfin du duvet et, courageux, pensons pouvoir affronter le monde et ses périphéries pourries.
Contrairement à Drieu, il n’est pas un ermite des charniers. Il met ses patins sur les décombres et glisse de pénombre en clair-obscur pour nous dire que nous sommes vivants et plus inactuels que jamais. Ainsi,
Apôtres d’opérette est un roman sans qualificatif : c’est exactement cela, la beauté. Et si vous n’aimez pas la splendeur, devenez une patère, vous y épouserez peut-être un képi.

Les romans de Maximilien Friche sont sans promesse, trop ardents pour se soumettre à un quelconque espoir secondaire : tout y est de premier ordre, même la vétille. Apôtres d’opérette nous entraîne très loin du caddie, des vacances en famille obligatoires et du dénuement. Il y a dans cette fantaisie pour jeunes gens perdus l’hypothèse d’une retrouvaille sans filouterie, d’un moment où la mort ressemblerait à un gitan maniant les gobelets du bonneteau, beau comme un joint de culasse.
Un roman de Friche n’est jamais intelligent, bien « ficelé » ou bêcheur. L’intelligence est un campement d’ivrognes atteints de sclérose en plaques. Un roman de Friche, c’est du bonheur qu’on pourra empailler sans s’y asseoir, une longue valse avec des santiags, un pogo avec des bottes d’équitation enfonçant dans la gadoue jusqu’aux tibias.

Avec Friche, la littérature devient ce qu’elle est : une empoignade du silence, plantée fièrement devant la niche quotidienne.

valery molet

Maximilien Friche, Apôtres d’opérette, décembre 2020, éd. Sans escale, 244 p. – 17,99 €.

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