Sophie Calle, Moi aussi

Sophie Calle, Moi aussi

La rencontre tordante et glaciale des contraires

Moi aussi  est inspiré à la fois par le rituel d’anniversaire de Sophie Calle et les cadeaux qu’a reçu le Président François Mitterrand durant deux septennats. Depuis des années, l’artiste conservait sans les ouvrir tous ses propres cadeaux qu’elle photographiait ensuite avec l’idée d’en faire un jour une exposition ou un livre : « J’ai conservé mes cadeaux d’anniversaire à partir de 1980 » précise l’artiste qui ajoute « j’ai maintenu ce rituel quatorze années consécutives. François Mitterrand a créé le musée du Septennat en 1986 pour y exposer tous les cadeaux reçus dans ses fonctions de président de la République. Forte de mon année d’avance, j’ai pensé intituler ce livre « Lui aussi ». Mais eu égard à sa fonction, et au nombre de nos cadeaux respectifs – 318 environ de mon côté, 4.700 objets et 18 000 livres environ du sien – j’ai renversé l’ordre » .
Sous couverture rouge, tous les cadeaux reçus par l’artiste sont représentés ; quant à ceux de François Mitterrand il s’agit (forcément) d’une sélection personnelle de la créatrice. Le Président devient à son corps défendant un double de l’artiste. Elle en propose une image mentale à travers les choix de ses cadeaux officiels. Face à cette intériorité devenue – par la volonté même du Président puisque tous les cadeaux sont exposés dans « son » musée – une extériorité narcissique, l’artiste prend de vitesse le schéma officiel et muséal dans la double rotation de cadeaux qui fonctionnent sur un registre différent. Certaines correspondances s’imposent sans que Sophie Calle n’en disent rien. Mais elle oblige le regardeur à penser le ou les sens à accorder autant aux objets que ceux auxquels ils furent offerts. L’union qui se scelle dans le présent du livre est autre, vers le futur comme vers le passé. Leur synthèse contradictoire dit quelque chose de l’être et du paraître. Si bien que le livre est construit afin de créer un malaise et une ironie.

Demeure surtout le vertige du retournement au sein d’objets dérisoires mais hâbleurs. La vestale artiste s’y unit avec le Prince à travers les jeux d’échos que les cadeaux proposent. Au point où l’on peut se demander si ,sous couvert d’exhiber des reliques, la narratrice ne cherche pas à effacer la présence éblouissante du polticien. Une nouvelle fois, Sophie Calle montre et se montre hors des mots tout en faisant sortir du rêve par ce qu’elle rameute de manière globale (pour elle) ou partielle (pour l’Autre). Dans le rassemblement des éléments coordonnés selon diverses logiques iconoclastes qu’elle se garde de préciser (de fait, objets et listes parlent d’eux-mêmes), elle œuvre dans l’espace-temps à la rencontre tordante et glaciale des contraires.

jean-paul gavard-perret

Sophie Calle, Moi aussi , Editions 591, Paris, 2014.

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