Silvina Ocampo, Inventions du souvenir

Silvina Ocampo, Inventions du souvenir

Le métier de vivre l’insaisissable

Pour Silvina Ocampo, la poésie est un travail de reconstruction existentielle plus que platement biographique.
Toutefois, l’Argentine remonte ici son histoire avec naturel et un principe de narration au fil du temps, non sans quelques entorses chronologiques.

En surgissent divers points du fixation : une robe parfaite, la révélation du sexe, une étrange citerne, le carnaval, les fleurs de cannes à sucre, les exploits d’un médecin, la saveur des fruits, le pouls qui bat, etc. La poésie est partout. Elle métamorphose jusqu’au dérisoire et ce qui pourrait paraître banal, insignifiant.
Mais sous l’évidence se cache le fantastique même si, ici, il ne possède rien d’un baroque surnaturel à la sud-américaine. Il n’est question que de la vie et ses plis selon l’auteure, son rapport à ses proches.

Silvina Ocampo va au bout de sa langue pour y retrouver l’émotion là où écrire devient le savoir qu’on ne pensait pas écrire et en conséquence penser. C’est un exercice.
La sensation y demeure motrice pour travailler non dans l’ordre de la raison mais son au-delà dans le mouvement et le métier de vivre l’insaisissable.

Se succèdent remous, clapotis, « soubresauts » (Beckett) plus que des convulsions dans un face à face avec soi-même. Et ce, avec parfois la « terreur d’aller en enfer », mais aussi de reprendre pied au sein de la musique. La poétesse écrit l’existant et les mots comme ils bougent, comme ils foncent au sommet de leur naissance, tremblant de chaleur, comme ils se nouent contre le froid.
S’y produisent de l’intensité, un point de visibilité en cette langue où la matérialité pourtant reste essentielle dans ce retour du passé dans le présent.

Tout ici est vibrant, sensoriel. Anne Picard en donne une superbe traduction même si, bien sûr, tout transfert d’une langue à une autre n’est qu’une approche de ce que de tels fragments écrits à plusieurs époques peuvent donner dans leur version originale.

jean-paul gavard-perret

Sivina Ocampo, Inventions du souvenir, trad. de l’espagnol par Anne Picard,  Des femmes – Antoinette Fouque, Paris, avril 2021, 192 p.

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