Romane Fostier, Marguerite Duras

Romane Fostier, Marguerite Duras

Duras ne ruse pas, elle invente

La biographie de Romane Fostier permet – entre autres – de contredire le simple constat sur l’amour tel que les critiques qui s’intéressent à Duras l’ont fixé. Ils l’ont souvent réduit chez l’auteure à un petit monde personnel alors qu’elle y inclut toute la société, le politique, l’éthique, l’Histoire et le dessaisissement fondamental.
Romane Fostier refuse donc la doxa concernant l’amour et son discours. Chez Duras, ils marchent ensemble mais bien loin de ce que Roland Barthes en fit dans son « Fragments d’un discours amoureux ». Il n’existe chez elle aucune déréliction car son lyrisme particulier échappe au formalisme et à l’essentialisme.

A cause de sa vie, l’amour se développe sous la bannière de divers thrènes, ce qui est dans la tradition d’un Ronsard ou d’un Racine. Mais chez Duras la dichotomie de l’absence/présence transforme la vie-même, au moins pour des instants, et modifie ce qu’était le cri d’amour avant elle. Nourrie de ses expériences, Duras selon Romane Fostier est l’inventrice de l’amour sans en rester à des images ou des effusions romantiques. Existent dans l’œuvre comme dans la vie les jalons d’une relation critique face aux rythmes amoureux comme à la poétique de l’amour.
L’œuvre est d’abord un travail de dissociation forte des habitudes psychologiques voire psychanalytiques. Pour Duras, les rapports amoureux ne relèvent ni de la seule intimité, de la seule sexualité ou encore des seuls formats culturels bien connus. Néanmoins, ils font société en associant corps, langage et classes.

Le point de vue de Duras est le point d’une « voix » qui trop longtemps a dû se taire. Impossible pour elle ensuite de penser l’amour sinon dans et par le langage. Et dans une telle perspective qui fait un grand ménage – comme elle le fit dans sa vie. Loin des montagnes de poncifs et d’habitudes surtout savantes, Duras ne ruse pas, elle invente. Pas d’autres voies alors que l’écriture à même l’attention la plus libre et la plus forte au moment où l’amour augmente les problèmes de l’amour. L’enjeu est d’ouvrir des fronts problématiques qui sont congruents à l’amour : celui de relation étant bien sûr le premier.
Sortant du cocon des assis, Duras a créé une articulation littérature/cinéma-politique. Elle ouvre le domaine linguistique à une décolonisation des pratiques poétiques qui ne trouvent leur source que dans le « biographisme ». Romane Fostier prouve comment l’amour en fragments travaille à une critique de la relation et c’est tout l’enjeu de l’œuvre et de la vie de l’auteure de « L’Amant ».

Romane Fostier,  Marguerite Duras, Folio biographies, inédit, 2018, 300 p.

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