Pablo Ramos, L’Origine de la tristesse
Gabriel, 12 ans, gamin d’un quartier pauvre de Buenos Aires, nous conte un bout de vie qui commence et finit dans la mort
Vous avez eu maintes fois l’occasion de constater combien les voies qui mènent de nouveaux rédacteurs vers notre site sont parfois tortueuses – l’ami d’un ami d’un ami qui… sévit ici – ou bien incongrues – petite fête de quartier, bavardages de palier entre deux portes… Il arrive aussi que le contact se noue en des circonstances moins surprenantes, où la conversation livresque va de soi – une soirée amicale chez un éditeur, par exemple. Voci à peine un mois, lors d’un « sacre printanier » un peu prématuré chez Zulma, je rencontrai Sylvia Placoly. À l’entendre parler de son travail de lecture-correction avec tant d’enthousiasme et de manière si aisée, je lui proposai d’écrire des chroniques pour Le Littéraire. Quelques courriels et une passation de livres plus tard, voci son premier article – d’autres suivent déjà. Il suffit de lire la petite présentation qu’elle a concoctée tout exprès à notre intention pour saisir la qualité de sa plume…
La rédaction
Sylvia Placoly est née en Martinique en 1978. Nourrie de littérature, elle rêve tout d’abord de devenir astrophysicienne mais change de vocation lorsqu’on lui apprend que dans ce métier, on ne passe pas son temps à observer les étoiles, mais plutôt à les deviner. Lasse de tourner autour du pot – et incapable de trouver dans la géométrie cosmique un intérêt autre que celui de dessiner des formes flottantes – elle entame des études littéraires qui l’amènent en France.
Elle veut désormais être payée à lire des livres. Lesquels ? Tous. Travail de titan, jamais achevé, frustrant toujours. Mais qu’importe : elle se consacre tout naturellement à la correction et à l’écriture de chroniques littéraires.
Toute vouée à l’imaginaire, elle rêve, pour l’enrichir, de connaître toutes les langues, de visiter toutes les cultures afin d’entrapercevoir, sous le visible, cette autre réalité que seul l’art de raconter des histoires permet d’approcher.
Travail de titan ? Jamais achevé, toujours frustrant ? Qu’importe…
Le petit bout de vie que nous conte Gabriel, un gamin d’une douzaine d’années environ, dans le quartier du Viaduc, aux alentours de Buenos Aires, commence dans la mort et finit dans la mort.
C’est d’abord le cimetière que lui révèle, guide fantasque, ivrogne et fleur bleue, son ami Rolando : mort ici fantasmagorique, terroir des légendes familiales, cimetière baroque de marbre, de fer forgé, de poussières dans des pots de cuivre et de pin-up embaumées, horriblement endormies, éternellement belles et froides, telles des fiancées de Dracula.
Ensuite, les aventures avec les gars de la bande des Gamins. Et quelles aventures ! Pillage d’une cave pleine de vin de contrebande, intense conciliabule, voire conseil de guerre, ayant pour objectif une descente équitable chez les putes, embûches d’un chemin de terre dont la plus périlleuse : une énorme sortie d’égout infestée de rats dévoreurs de chairs vivantes.
Ce monde de boue et de béton, sur lequel plane la menace constante d’une apparition impromptue de Ceux de l’Autre Côté – du bidonville d’à côté en fait -, où l’eau prend feu tant elle est polluée, Gabriel nous y promène d’une voix tranquille, d’une simplicité froide et d’évidence de vieux baroudeur que plus rien n’étonne vraiment. Terriblement adulte en réalité. Mais là se révèle paradoxalement le constant décalage qui caractérise sa vision d’enfant, non pas dans la déformation, mais dans la banalisation, la normalisation d’une réalité qui, à nos yeux, apparaît clairement violente, scabreuse, cruellement dénuée d’innocence. Gabriel pourtant vit de grandes aventures, et il nous emporte : quoi qu’on pense – et il s’en fiche -, il rêve… avec les moyens du bord.
Enfin, et c’est le tournant au-delà duquel plus aucun retour n’est possible, la mort de nouveau mais terriblement concrète, qui touche de plein fouet leur bande, leur chair même. A partir de là, tout se délite, le temps passe, les temps changent, le monde que l’on connaît n’est plus : Gabriel quitte l’enfance ; il ne lui sera plus permis de rêver.
L’Origine de la tristesse est là : dans la perte de ce paradis originel, où rien n’est grave, de l’enfance ; les illusions s’évaporent, les amis s’éloignent – ou pire, meurent ! -, les rêves ne sont plus que des momies dissimulées sous des tonnes de marbre, figée dans la même pose pour le reste des siècles, pendant que, doucement, nous apprenons à taire les problèmes tout comme si le silence pouvait les faire disparaître, à ne pas écouter nos enfants et à trahir honteusement nos convictions et nos principes ; pendant que nous devenons doucement et inexorablement des adultes.
Le sujet en soi n’est pas original, il a préoccupé et préoccupera encore des générations entières, mais la voix de Gabriel est unique, autant que toutes les autres qui, en chœur, titillent et ravivent nos propres nostalgies d’enfance. Laissons-nous émouvoir.
s. placoly
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Pablo Ramos, L’Origine de la tristesse (traduit de l’espagnol par René Solis), Métailié coll. « Bibiothèque hispano-américaine », mars 2008, 160 p. – 17,00 €. |
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One thought on “Pablo Ramos, L’Origine de la tristesse”
La lecture de cette chronique a générer le désir de découvrir cet ouvrage. Merci Sylvia.