Nina Yargekov, Double nationalité – Rentrée 2016.

Nina Yargekov, Double nationalité – Rentrée 2016.

Le choix

Double nationalité  ressemble a priori à un pavé. Mais qu’on se rassure : il est sauvé par une héroïne habitée d’amnésie. L’identité devient un objet d’une comédie. La gravité qui se rattache désormais à cette problématique en est oblitérée : plus question de mettre ceux qui furent jadis des « potes » au feu. Nina Yargekov s’amuse. La Franco-hongroise fascinée par le Code Civil et la tarte au citron fait preuve d’un génie du récit et le fabrique de la manière la plus allègre possible, loin des manigances idéologiques et ce qu’elles cachent.
La drôlerie permet d’aborder les sujets les plus graves dont et en premier chef la migration. La fausse naïveté satirique est constante. Hormis quelques rares longueurs, le livre ne cesse de rebondir en mettant à mal les jeux de hiérarchie par ceux de langage. Tout joue d’un pays à un autre, entre le “rentrer” et le “revenir” d’un corps qui bascule, soumis à deux exotismes plutôt qu’à deux nationalités.

Titulaire de deux passeports (un français, l’autre d’un pays douteux), l’héroïne se prend d’abord pour une prostituée avant de comprendre qu’elle n’est que traductrice. Cela ne suffit pas à épuiser sa déception et sa quête écrite à la seconde personne du pluriel pour non seulement introduire la complicité avec le lecteur mais aussi approfondir la notion de dualité voire de schizophrénie.
Preuve qu’un personnage amnésique – qui ne cesse de reperdre constamment sa mémoire mais qui est obsédé par la commémoration – devient un modèle de liberté et d’indépendance. Tout le contemporain est là. Non tel quel, mais en des histories courbes : la narration seule sort du chaos et ce à travers des séries de “tests” non de personnalité mais de nationalité : réécouter l’éloge de Jean Moulin éructé par Malraux, réviser la Guerre d’Algérie, la Coupe du monde de football côté hexagonal ou l’obsession de traité de Trianon côté magyar.

Ajoutons à l’ensemble le goût de l’invective et du juron vis-à-vis de soi-même. Il rend le propos jouissif et presque parfait. Quant au “vous” déjà cité, il nous rend otages mais nous en sommes ravis. Qu’importe le risque du syndrome de Stockholm. En littérature, ce n’est pas un pensum mais un plaisir.

jean-paul gavard-perret

Nina Yargekov, Double nationalité, P.O.L., Paris, 2016, 688 p.- 23, 90 €.

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