Celui qui rêve d’un pinceau sur mesure: entretien avec l’artiste Kalev de Gaing

Celui qui rêve d’un pinceau sur mesure: entretien avec l’artiste Kalev de Gaing

Kalev de Gaing travaille avec l’apparence pour la dénaturer de froideur. Il perturbe notre regard et ses habitudes de reconnaissance. « Anonymisé », effacé, dévisagé le portrait affirme néanmoins sa nécessité. Paradoxalement, l’artiste grenoblois est un amasseur de visages mais de visages en « creux » capables de souligner les gouffres sous la présence et de faire surgir des abîmes en lieu et place des féeries glacées. Il s’élève contre tout ce qui dans l’art pourrait présider au désastre croissant de l’imaginaire.

Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La promesse du beau, si il y a une possibilité pour que je vois, rencontre, écoute, touche, sente, découvre la couleur, quelqu’un, l’émotion, l’histoire, la pensée qui me ramènera à mon beau, alors je me lève.

Que sont devenus vos rêves d’enfants ?
Il y a ceux que la réalité ou le temps a éteints, ceux j’ai vécus ou que je vis, les autres attendent, mais tous restent en moi, il m’arrive de les solliciter quand j’ai besoin d’être guidé.

A quoi avez-vous renoncé ?
À la vérité, et pour preuve, je ne saurais dire si c’est vrai. Je ne laisse pas plus de place au mensonge, je donne sa chance à la magie.

D’où venez-vous ?
De Grenoble, et comme chacun, je suis d’une multitude d’influences.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’adage dit : Puisses-tu vivres dans une époque passionnante. Il me fait dire que toutes les époques sont passionnantes, et me pousse à rester curieux de la mienne. En définitive, je me sens riche du passé et de l’histoire, riche de mon présent. Bien sûr tellement content d’être né après eux, les grandes et les grands.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Je commence chaque jour par un doux moment olfactif, et inspire les effluves d’huile essentielle de rose de Damas.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ils sont une source d’inspiration, l’inverse reste à prouver. J’avoue n’en connaître aucun personnellement, et me suis davantage intéressé à mes classiques qu’à mes contemporains. Alors je peux affirmer avoir un amour premier pour la matière, plus que la peinture ce sont les pigments, plus que les pigments les terres pierres, gemmes, et minerais, plus que la toile, le lin, plus que le pinceau, le poil, l’animal, etc.… mais cela suffit-il à me distinguer ? Ce n’est pas non plus un objectif.

Comment définiriez-vous l’approche du portrait ?
Je pense qu’une infinité de choses restent encore à faire dans bien des domaines, et le portrait n’est pas en reste. En hébreux le mot « visage » n’existe pas au singulier, et j’aime assez cette idée, celle d’une personne associée à ses intentions et non son apparence. Chez moi, ça passe par l’anonymat des genres, mes « nez », « corps », ou « portraits » sont tous asexué. Les cous ou nuques participent comme point d’ancrage à la scène, et pendant que tous n’ont pas de visage, certains ont une main. En réalité, je crois que le portrait n’est certainement pas le visage encore une fois mais bien tout ce qu’il se passe à côté.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le monochrome.

Et votre première lecture ?
« Le parfum ».

Quelles musiques écoutez-vous ?
Au moment même : « Dikur Natem Vone » de Dirk Maassen, album « Zénith », et comme beaucoup de personnes, j’écoute de tout et passe en revue mes visages au fur et à mesure que les playlists défilent.

Quels livres aimez-vous relire ?
J’aime relire des poèmes, des conversations, et depuis très récemment des articles.

Quel film vous fait pleurer ?
« Billy Elliot », « Va, Vis et Deviens », « Laurence Anyways », « Mommy », « Le Moulin Rouge », les biographies. J’aime voir une personne créer autour de sa contrainte dans le but de se réaliser. Tellement me font pleurer.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je suis pas mal sujet à la nostalgie, donc à moi-même dans le futur.

Lorsque vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Au risque de ne pas être compris, peu importe qui je suis, je vois l’autre, et c’est aussi vaste que ma réponse n’est pas précise. Je vois aussi quelqu’un qui me veut du bien, surtout quelqu’un qui me suis partout. Je vois ma « persona », ou pas.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Paris, Londres, Rome, Jérusalem pour celles à qui j’ai rendu visite. Je ne saurais dire si elles ont pour moi valeur de mythe, mais elles m’ont ému. C’est l’impact du temps, l’oxygène y est différent, on ne peut être qu’humble face à l’histoire. Marrakech aussi m’a touché, et elle continuera au moins encore une fois, le Jardin Majorelle et moi nous sommes loupés. Un jour, j’irais voir Athènes, Alexandrie, et toutes celles que je pourrai. Malgré tout, c’est Babylon et ses jardins suspendus, l’Atlantide, Shangri-La, Shambhala, les Cités d’Or, Mu, Sodome et Gomorrhe, Lémurie, Ys, Kitej qui me manqueront, pourquoi pas le plus.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je ne saurais dire si je me sens proche d’autres artistes de par une pensée ou démarche commune tout en pouvant affirmer qu’il n’est pas là question d’égo. Et si « je pense donc je suis », c’est dans le faire que je me réalise, puisqu’il n’y a aucun artiste que je n’ai appris avant de me réaliser en tant que … m’a réponse ne peut être que biaisée. D’abord il faudrait que je sois, que je dise, que je fasse et ensuite que j’apprenne que quelqu’un eût été, eût dit, eût fait pareillement sans que je n’eus quelques influences sur lui/elle pour m’en sentir proche sans égo.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
En lien avec les mains, des gants, en lien avec le cou, mon parfum, un foulard, pour parfaire ma culture, un livre, et un petit kiff serait un pinceau fait sur mesure. (Mais vous êtes libre de me surprendre, je suis né le 2 avril)

Que défendez-vous ?
La notion de responsabilité individuelle.

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Un peu réducteur à mon sens et cloisonnant, si ce devait être ça, ce serait trop petit. Et quand bien même c’est vrai, je n’en veux pas, je n’ai pas vécu ce qui l’a amené à dire cette phrase sans doute. Je reconnais l’idée de détachement qui pourrait s’en dégager, et quand même tenter de définir un sentiment ou une émotion c’est aller à l’échec. Comment décrire une couleur à une personne aveugle de naissance, sinon par les émotions et sentiments ? La chose est bien là et bien plus vaste déjà, voilà qu’elle nous dépasse.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
C’est du direct, ça fait sourire, ça lui ressemble. C’est entre intelligent et naïf.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Peut-être celle à laquelle je n’aurais pas répondu, et je vous en remercie.

Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er octobre 2016.

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