Nimrod, Tombeau de Leopold Sedar Senghor

Nimrod, Tombeau de Leopold Sedar Senghor

Deux jours après la mort de Leopold Sedar Senghor, le poète tchadien Nimrod rendait hommage au maître en rédigeant son tombeau

Nimrod, ami…

Nu, sans lui : le livre prend acte de la disparition du maître. Senghor est mort : deux jours après la perte, un cadet, via ce geste si spécial, si précis de l’hommage, offre son encre à l’aîné, lui dédie ou lui voue ses mots, si bien que les pages se tendent vers l’autre en un « exercice d’admiration ». Se tenant au plus près de la rhétorique classique et épidictique du tombeau, le Tchadien Nimrod célèbre le Sénégalais Senghor. Une Afrique en dit une autre – c’est aussi la même – en un geste vers l’universel.

Irruption du pire, douleur non feinte dans les phrases : Senghor vient de s’éteindre. C’est la poésie qui est orpheline cet hiver mais aussi prise en compte de la hauteur atteinte par ce style unique, à des années-lumière des « écrivailleurs sénégalais » du jour d’aujourd’hui. Senghor a placé les choses très haut.

Métissage. Ce terme-clé, dont Senghor tissa l’éloge, est gage de richesse, de différence, d’authenticité. Rien de plus faux alors pour un écrivain africain que de jouer à l’Africain. L’auteur gravite autour de deux formules cardinales : Assimiler, non être assimilés  ; l’émotion est nègre, comme la raison héllène. L’émotion sera dite au plus juste par la correction de la langue, par l’élégante sobriété du style. Une probité.
 
Reste que le métissage a sa place entière. Et que l’émotion – que Senghor et Nimrod placent à raison si haut – peut se nieller de manière féconde à la raison cartésienne. L’émotion, quand elle est vraie, nous sauve. Sachons gré à Senghor de nous l’apprendre. LSS ou le poète – mais c’est un même mot – est un « homme-émotion ».

On trouvera dans ces pages des images, des photos, des traces de la présence humaine de l’Orphée noir dans le siècle que sa vie visite. Du Sine à la Seine, l’auteur remonte le temps : la précieuse petite goutte de sang portugais (Senhor > Senghor), l’humanité de l’enfant de Joal, éclats du visage de l’homme émerveillé, fragile et volontaire.

Dressé ce portrait de lumière et d’ombre, Nimrod incurve son propos vers le nouvel Africain, métis culturel ouvert à la totalité du grand tout, vivant en plaine. Cette plaine n’est pas ici le lieu de l’exposition tragique où tout peut nous blesser mais l’aire de la rencontre poétique où tout peut nous atteindre. Le nouvel homme vogue aussi, tel Ulysse sur la mer du langage. C’est dire, aussi, l’importance de la langue française, vécue comme proximité à soi : Le griot Senghor ne perd rien à chanter la francophonie. Au contraire, ce n’est là qu’une modalité de son être le plus profond.

Au tombeau succède un court essai, Léopold Sédar Senghor chantre de l’Afrique heureuse, ouvert par l’exergue d’Ethiopiques, à graver sur la matière du coeur : Je ne sais en quel temps c’était, je confonds toujours l’enfance et l’Eden / Comme je mêle la Mort et la Vie – un pont de douceur les relie.

Mais dans son enfance, un enfant a entendu les voix de poétesses (Koumba Ndiaye, Marône Ndiaye, Siga Diouf) qui lui donnèrent la poésie par leurs lèvres, l’invitant à se rejoindre. Dans le Sénégal paysan et pastoral, la transhumance du verbe aussi. Cette fidélité à l’enfance est comme le coeur de sang du livre. Le premier âge vaut comme origine. Nimrod : écrire consiste toujours à dire merci à une Origine.

In fine, au début et à la fin de tout, le lyrisme comme visage ou paysage de l’homme, parole qui nous vêt mieux que toutes les parures. Et qui vaut d’être partagée. Dans le sillage jamais lointain de Saint John Perse, la poésie dit une plénitude ivre par l’éloge dont la page est le lieu de partage. Le bel hommage rendu au maître vient ainsi du style tenu de l’élève. On ne saurait l’oublier : pratique rare, le tombeau est un genre difficile.

pierre grouix

Nimrod, Tombeau de Leopold Sedar Senghor, Le Temps Qu’il Fait, 2003, 75 p. – 13,00 €.

Laisser un commentaire