Michel Onfray, La pensée qui prend feu. Artaud le Tarahumara
Bien que son image – à l’inverse de celle d’Artaud – soit affichée sur toutes les gazettes et les écrans, l’auteur ne se plaint jamais de la monotonie d’un tel décor. Il lance même des diatribes lorsqu’il n’est pas suffisamment exposé. Et quand l’ombre d’Artaud tente de lui barrer la route , elle ne fait pas le poids.
Venu parmi les hommes pour être encensés par leurs femmes, l’auteur n’est pas loin de penser que le réchauffement de la planète est dû à son activité cérébrale plus qu’au soleil du Mexique. Bref, celui qui, lorsqu’il a besoin d’un petit coup de remontant, se regarde dans son miroir ou dans celui que lui tendent ceux qui le prennent pour le nouveau Kant, ignore le quant-à-soi et semble se demander qui a bien pu écrire les livres qui ne sont pas de lui.
Dès lors, la tentative d’Artaud est le parfait opposé de l’optique de son commentateur. Dans Le Mexique et la civilisation le premier écrit : « C’est une idée baroque pour un Européen que d’aller rechercher au Mexique les bases vivantes d’une culture dont la notion s’effrite ici ; mais j’avoue que cette idée m’obsède ; il y a au Mexique, liée au sol, perdue dans les couleurs de lave volcanique, vibrante dans le sang des indiens, la réalité magique d’une autre culture dont il faudrait rallumer le feu ».
Et c’est ce feu intérieur que le poète veut réanimer afin de retrouver une sorte de sérénité. Onfray n’a pas besoin d’un tel foyer. Et une fois de plus il passe à côté du problème. Artaud n’est même pas pour lui un symptôme mais uniquement un prétexte pour la mise en stèle du nouveau prophète de la fin de notre civilisation.
Artaud avec le départ au Mexique espérait que tout pourrait (re)commencer sous une autre étoile. Il s’agissait d’une expérience capitale afin de sortir de soi. Comme l’écrit Daniel Odier, « utilisant le peyotl comme une sarbacane, Artaud le Grand Porc de l’Aube pénètre dans l’esprit en voyant la naissance du premier jour ». Néanmoins, ce voyage au Mexique, s’il ouvre apparemment sur une naissance, une vraie naissance tant de fois rêvée, va fermer et enclaver le poète à l’intérieur d’un cercle – mais un cercle où tout se rejoint, où tout semble le réconcilier avec la loi secrète de son propre esclavage.
Onfray fait l’impasse sur une telle analyse et reste aux antipodes d’une telle vision. Là où Artaud allait accueillir le monde, le philosophe ne reçoit que lui-même et poursuit sa mise en scène.
jean-paul gavard-perret
Michel Onfray, La pensée qui prend feu. Artaud le Tarahumara, Gallimard, collection Blanche, 2018.

2 réflexions sur « Michel Onfray, La pensée qui prend feu. Artaud le Tarahumara »
M. Onfray est un être éveillé, sans aucun doute. Mais il doit faire attention. Son ego le perdra …
Merci, pour ce bel éclairage.