Laisse cailler la concierge (« Léthé des passions » – II)
De pinces fesses en tourne-vices tournevis Hache-Île s’est mis à réparer la vie, les horloges et même les parapluies dans la loge de la concierge. Il y venait jadis juste prendre un Vermouth. Mais la bignolle a su y faire. Depuis il refoule le goulot et les aigreurs de sa bilboque même si le plus souvent elle reste dans l’escalier (à moins que l’escalier demeure en elle).
Mais chaque soir il pieute avec et l’appelle sa petite reine puisqu’il l’enfourche de plus belle. D’autres la nomment serpent à sonnette et en n’ont jamais connu avec un timbre pareil. Mais la nuit, la bouche dans l’oreiller, pour son palefrenier la draisienne est moins loquace. Besogneuse elle s’acharne aux gâteries et ressemble en cela bien peu au commun de l’espèce humaine. Mais son homme le lui rend bien.
On le dit père d’un lardon crépu dont il ne saurait que faire et que ne veut pas connaître celle qui n’a pas eu de bambin. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé et non seulement avec des locataires et des propriétaires. A part d’aller à Lourdes elle ne pouvait rien faire de plus. Elle en a osé des positions. Parfois peignoir ouvert et cigarette au bec pour que s’entortille le pétrus et le reste, parfois téléviseur allumé, passant à la casserole à même le linoleum.
Désormais se contente de son homme et de son home. Met du rose sur les ongles, du vermeil sur les lèvres et de l’ombre sur les mirettes. Les femmes de la montée n’arrivent plus à lui arracher les verbes du nez. Avant c’était des « Rentrez ! Je vous sers un petit noir ? ». Mais niet. Certes, elle jacasse encore : mais hors loge et surveillant l’heure comme si elle gardait son galant sous séquestre. Façon aussi de le mettre au vert sans besoin de chalet ou de ferme.
Il y a pourtant dans l’immeuble beaucoup de gens seuls qu’elle satisfaisait jusque là – et quel que soit leur sexe – de diverses manières. Désormais, elle ne refuse jamais l’utile mais plus le nénécessaire. La loge est devenue un garni très coquet : le couple s’y sent bien. Et beaucoup reconnaissent le talent d’Hache-Île. Il les dépanne au besoin et s’efforce de fleurir (de lys car il exècre les roses) sa taulière. Elle le met au parfum des péripéties et des cancans mais s’économise au besoin afin de ne pas être trop lasse, ce qui risquerait de le négliger et de ne pas l’enlacer comme il se doit : « un tel zigue çà n’arrive pas deux fois » pense-t-elle.
Depuis, ils ne se quittent plus. Sinon une fois trois jours. La bignolle dut aller chez une amie qui gagne sa croûte avec ses miches. Elle pallia à l’indisponibilité de la malade en répondant à un défilé d’assidus. Elle y a subi bien des secousses sur un pageot à miroirs. De retour elle n’avoua à son amant que l’essentiel. « Tu ne vois pas qu’elle fait de sa vie ? » rétorqua-t-il mais elle de répondre » Tu as de ces visions, mon Hache-Île ! » sans lui dire que – boyau à la rigole – elle usa ces jours-là bien des draps et de petites culottes.
D’ y penser la nostalgie la prend parfois encore. Avant d’avoir les cheveux poivre et sel, deux ou trois messieurs ou dames étaient reçus au quotidien. Un(e) s’en allait, l’autre arrivait. Avec à la main parfois un ballotin de chocolats au fin ruban et un chapeau sur la tête pour éviter qu’on les reconnaisse. Mais tout ce qui rentrait chez elle, désormais sa copine en fait son affaire.
La pancarte « La concierge est dans l’escalier » n’est plus réservée à de telles visites. Elle ne reçoit plus que son galop-pain, il est sorti des marches et elle y tient.
jean-paul gavard-perret
Photo de Bettina Gorn