Laird Hunt, Une impossibilité
Voici un roman inclassable qui vous prend, vous saisit, vous emporte, vous étonne, vous titille, et surtout, vous épate
Voici un roman inclassable. Une impossibilité, de Laird Hunt, vous prend, vous saisit, vous emporte, vous étonne, vous titille, et surtout, vous épate. Être épaté, de nos jours, par un jeune auteur dont on ignore tout et un livre dont on ne sait rien, est une sensation extraordinaire ; on sera bien en peine toutefois de trouver les arguments classiques pour décrire une œuvre qui suscite une admiration franche et enthousiaste, laquelle me fait penser que l’on peut tomber aisément, en tant que critique, dans la subjectivité la plus totale et la louange inconsidérée.
Mais peut-être pas, dirait l’auteur. En tout cas, dirait-il, si je peux me permettre et je me le permets, tout porte à croire que nous sommes devant un style et un univers, quoique naturellement on puisse se demander s’il est raisonnable de parler en ces termes, car sait-on jamais. Il s’agit des aventures d’un homme qui rencontre des femmes maigres ou bégayantes armées de lunettes de soleil, et des types avec des capes qui tiennent des revolvers, du moins tout porte à le penser, mais méfions-nous de nos propres interprétations. L’organisation à laquelle appartiennent ces personnages mystérieux est une organisation, comme on l’a dit, qui organise, donc, des coups plus ou moins criminels. Le héros se retrouve au fond d’un puits par exemple, il est désavoué, il est récupéré, il est missionné, il est menacé, mais ça me fait penser à autre chose, comme cette fois où une boiteuse l’assomme tandis qu’il fait son ultime enquête, à la recherche de son propre assassin. En filigrane toujours, le souvenir de celle qu’il a aimée, qu’il a retrouvée, mais est-ce bien sûr, et puis, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise.
C’est ainsi une écriture admirablement maîtrisée qui passe du coq à l’âne, rejetant la chronologie et la logique narrative aux oubliettes ; d’un paragraphe à l’autre on se prend à vagabonder dans les souvenirs du héros, les événements s’enchaînent implacablement mais on ne sait pas lesquels, car ce sont des événements, des événements importants, dont on ne nous dit rien, sinon qu’ils sont importants, justement, et puis ce sont des interactions, et non pas des rencontres : des interactions. Sans mentir, on est souvent perdu. On se demande qui fait quoi et pourquoi, et ne comptez pas sur Laird Hunt pour éclairer votre lanterne. Alors on se laisse transporter sans savoir où l’on va, l’écriture merveilleuse, drôle, fascinante, lancinante, répétitive, obscure, faisant son office d’hypnose. On refermera ce livre avec le sentiment d’avoir découvert un écrivain-un-vrai-un-grand, un promis à faire des émules, un dont le style se reconnaîtra à la première phrase, vous verrez. Et le mal que je me donne à vous l’expliquer est bien puéril ; il n’y a rien à dire de l’envoûtement ni du talent.
Inclassable, ce roman. Magnifique, in-racontable. Nouveau, jamais vu, jamais lu. Énervant parfois. À dévorer si vous aimez l’incongruité archi-intelligente et la mélancolie existentialiste raffinée, humoristiquement parlant. Mais oui, ça existe, la preuve.
sandrine lyonnard
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Laird Hunt, Une impossibilité (traduit de l’anglais – Etats-Unis – par Christophe Marchand-Kiss),Actes Sud, janvier 2005, 227 p. – 21,80 €. |
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