Gérard Pfister, Ce qui n’a pas de nom

Gérard Pfister, Ce qui n’a pas de nom

L’éternité provisoire des mots

Poète de l’état de la langue et du monde, Pfister reste un écrivain actionniste capable des plus hauts exploits par un art de la performance. Ses textes  vampirisent les espaces vierges en révisant bien des invariants, gradients et ingrédients du langage. Leur  impact crée des tensions qui assument sécession, marginalité et martingale.
Il s’agit pour les mots de vivre ivres et libres au sein des matières vibrantes poétiques aux assonances sauvages face à une technologie d’un Age d’or mais à la triste figure. Il importe néanmoins et toujours de trouver un  moyen de donner lieu à ce qui n’en a pas.

Dans ce but, Gérard Pfister a tiré le titre de son recueil d’un aphorisme de Valéry : « La plupart ignore ce qui n’a pas de nom ; et la plupart croit à l’existence de tout ce qui a un nom ». L’auteur y développe des arcanes en mille quatrains et souligne particulièrement ce que les mots ne savent rien de ce qu’ils évoquent.
« Ayant grandi en silos », les mots en leur mécanisme plus que de nous éclairer nous broient. Ils restent des coquilles non habitées dans leur « semblant d’être » et leur vibration… Non qu’il n’y ait rien à en tirer mais il ne faut pas attendre ce qu’ils ne peuvent faire. Ils ne sont pas forcément des ersatz mais une approche que l’humain a trouvé pour tenter de se dire, tant que faire, se peut en son rapport à lui-même, aux autres, au monde.

Ce n’est pas beaucoup. Mais, à l’ombre des grands créateurs, ce n’est pas si mal. Toutefois, il est bon, comme Pfister le propose, de prouver qu’ils peuvent sortir de l’innommable comme un Beckett l’a montré. Et ce, afin de trouver ce que l’auteur appelle « la lumière / d’avant les mots » . Le poète en appréhende leur périphérie, insiste au besoin sur leur pétrification ou la dissolution de leur chatoiement. Il rappelle aussi qu’à la mort de certains mots d’autres prendront la relève dans le continuum d’un changement inlassable même s’il semble qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil.
A lire les grands anciens dont les mots tiennent, cela semble une évidence. Mais méfions-nous des vues de l’esprit : sans cesse l’écriture avance dans ce perpétuel exil que durer représente. Il y a la fatigue bien sûr mais une endurance tout autant.

Des mots sortent moins des assurances que nos arrières-pays, nos mondes flottants. Reste comme Pfister à chasser toute grandiloquence et oublier jusqu’au « je » du nom pour aller droit devant.
C’est pourquoi son  livre importe, par sa somme immense et humble où la bête devient homme qui « n’avance que d’instant en instant » dans l’éternité provisoire des mots. Ils ont toujours quelque chose non seulement à dire mais à montrer.

jean-paul gavard-perret

Gérard Pfister, Ce qui n’a pas de nom, Arfuyen, coll. Les Cahiers d’Arfuyen, 2019, 384 p. – 19, 50 €.

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