Erich Hackl, Le Mariage d’Auschwitz
Ce récit complexe, où se mêlent diverses voix en proie à leurs souvenirs, nous confronte à l’abomination d’un camp d’extermination
Il aura fallu dix années de recherches et d’interviews à Erich Hackl pour produire son récit. Malgré cela, c’est au prix d’énormes efforts qu’on y pénètre. S’il n’y avait la quatrième de couverture pour nous mettre sur la voie, on renoncerait vite à cerner le héros vers lequel veut nous amener l’auteur, ce Rudolf Friemel dont il est question, entre tant d’autres personnages, à travers les souvenirs des narrateurs : ceux-ci, eux-mêmes difficiles à identifier, se succèdent dans un embrouillamini plutôt dissuasif. Qui parle ? Une soeur ? Sa femme ? La première, Paula, ou la deuxième, Margarita ? Son père ? Dans le brouhaha des voix, on est d’emblée perdu. À force de s’obstiner à fouiller dans la vieille boîte à chaussures pleine de photos et de lettres qui appartenait à qui déjà ?, on finit par apercevoir les contours d’un Friemel autrichien qui fut commissaire du PC dans les Brigades internationales, et participa à la guerre d’Espagne. Qui se maria en 1939 avec une Espagnole, Margarita, mariage non reconnu par l’Espagne. Qui, arrêté par les nazis en 1941, et déporté à Auschwitz, mit tout en oeuvre pour obtenir le droit d’officialiser son union en se mariant une deuxième fois.
À ce stade-là, à condition d’être resté archi-concentré, les broussailles peuvent s’éclaircir, l’histoire trouver un rythme. Le mariage donc. Il aura lieu dans le camp le 30 décembre 1944. Scènes surréalistes. Témoignages de prisonniers survivants. Un mariage dans un camp d’extermination, comme tentative du directeur de donner au monde extérieur une image plus humaine de ce lieu macabre. Souvenirs à plusieurs voix, visions contradictoires, les mémoires qui brodent, mais c’est poignant, et désormais impossible à lâcher : victoire de la vie, mais in fine, victoire de la mort, la tragédie atteint son paroxysme avec la pendaison, dans sa chemise de noces, du nouveau marié pour tentative de fuite, activité subversive, contact avec les partisans. Et il y a après. Génération suivante, changement de pays, changement de langue, l’oubli cicatrisant, la tragédie enterrée.
Erich Hackl est viennois. Il a publié plusieurs récits sur les tragédies de l’histoire contemporaine. Avec Le Mariage d’Auschwitz, on se serait contenté d’un récit construit plus simplement : la tentative – maladroite – de « faire littéraire » à tout prix agit comme un brouillage sur la vérité nue.
colette d’orgeval
![]() |
||
|
Erich Hackl, Le Mariage d’Auschwitz (traduction de Chantal Le Brun-Keris), Viviane Hamy, 2003, 158 p. – 10,95 €. |
||
